Chose promise, chose due. Je reviens aujourd’hui, comme annoncé dans un précédent billet, sur le verbe « investiguer » et en particulier sur son emploi à tout le moins condamnable dans la phrase « Tous les cas investigués sont des hommes, âgés entre 19 et 63 ans (âge médian : 34 ans), lue il y a quelques jours sur le site Imaz Press Réunion.
Le bien-fondé du verbe « investiguer » demeure un sujet de discorde chez les linguistes. L’Académie et Littré persistent à lui tourner le dos. Auteur de Langue française : arrêtez le massacre ! Jean Maillet n’y voit, lui, qu’un anglicisme de plus « créé dans les années 1950 à partir du verbe anglais to investigate, examiner, étudier, sonder, enquêter sur, faire une enquête sur, etc. »
Malgré les nombreuses diatribes formulées à son égard, « investiguer » a aujourd’hui pignon sur rue dans l’usage courant. Et nul besoin d’être un fin limier pour retrouver sa trace dans les médias francophones :
— « L'objectif du programme est d'éloigner les personnels des zones à investiguer et à traiter (…) (Le Télégramme)
— « Il s'agirait d'une «entrave majeure» au métier de journaliste. Ce dernier n'aurait plus la liberté d'investiguer et de publier, mettant du même coup en danger (…) » (La Dernière Heure)
— « Ceci fait partie des éléments à investiguer. » (Paris-Normandie)
Après tout, quel mal y a-t-il à cela puisque nos Dupond et Dupont de la langue française, Larousse et Robert, à moins que ce ne soit Robert et Larousse, lui ont ouvert leurs portes ? Alain Rey (Dictionnaire historique de la langue française) plaide à demi-mot en faveur du terme incriminé, lui trouvant des origines des plus avouables : « Vient du radical de ‘’investigation’’ ou est emprunté au latin investigare, nous explique l'ancien porte-drapeau de la maison Robert. D’abord sous la forme ‘’investigier’’ (1381 ; encore ‘’investiger’’ en 1618), il est attesté avec la forme moderne en 1406 au sens de ‘’faire des recherches’’ Le verbe latin avait abouti en ancien français à ‘’envestier’’ (1298). Cependant, quand le mot est repris au milieu du XXe siècle, il est senti comme un emprunt à l’anglais investigate, de même origine latine. »
Quoi qu’il en soit, « investiguer » n’a pas attendu de recevoir la bénédiction des puristes, si tant est qu’il l’obtienne un jour, pour se propager dans l'usage. Ainsi va l’évolution de la langue. Ce n’est d’ailleurs pas la présence de ce mot dans la phrase citée en introduction qui me chagrine, mais l’utilisation qui en est faite. Sauf erreur de ma part, à l’instar de son synonyme « enquêter », « investiguer » est un verbe intransitif et en tant que tel, il ne doit jamais être accompagné d’un complément d’objet direct. On n’investigue pas quelqu’un ou quelque chose. Un homme, qu'il soit âgé de 19 ans ou de 63 ans, ne peut donc être qualifié d' « investigué ». En revanche, rien ne s'oppose à ce qu'il soit « interrogé », « sondé », « questionné », « consulté », « cuisiné »… La liste est longue. Je vous laisse le soin de poursuivre l’investigation.
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