lundi 8 avril 2024

Un pour tous, tous pour un

Lu récemment : « Plus de 550 effectifs ont été engagés, afin de faire respecter les arrêtés préfectoraux d’interdiction de port et transport d’armes et d’organisation de combats de rue. » (Le Quotidien de la Réunion)

Je ne dirai jamais assez tout le « bien » que je pense de la prolifération anarchique du substantif « personnel » au sens de salarié, d'employé ou encore de membre d'une entreprise. Nous avons tous un jour croisé des phrases du type : « Air France va supprimer 58 postes, soit un tiers des personnels au sol à Toulouse selon la CGT. » Ou du genre : « Les quelque 12 500 étudiants et les 1 100 personnels de l'université du Mans (et Laval) ont un nouveau président. »

Seulement voilà, à peine le bougre a-t-il eu le temps de s'implanter sur le marché de l'emploi qu'il doit déjà faire face à la concurrence d'un autre nom collectif dévoyé, je veux parler du terme « effectif ». Si ce dernier n'a pas encore atteint la cote de popularité de son rival, il commence à se tailler un joli succès dans notre langage courant, à tel point que je vois mal comment la tendance pourrait s'inverser. 

Résumons la situation. Naguère, on parlait de l'effectif d'un club de football, d'une classe de primaire ou des effectifs déjà à flux tendu de la police nationale. Or, de nos jours, à l'instar de « personnel », « effectif » ne décrit plus seulement un groupe d'individus, mais chaque individu qui le compose, une absurdité qui pourrait très bien accoucher de tournures telles que : « Les effectifs de l'effectif de l'entreprise sont tous réquisitionnés pour les fêtes. »

Face à une telle dérive langagière que rien ne justifie, l'Académie française est bien sûr montée au créneau. Dans un billet publié le 6 mai 2021, la docte institution rappelait qu'après avoir désigné à l'origine le « nombre de soldats d’une armée, d’une troupe », puis par analogie le « nombre d’individus qui composent une collectivité », « effectif » ne saurait s'appliquer à chacun des éléments composant un effectif. « On dira ainsi que l’on envoie un effectif de soixante-dix hommes, mais on ne parlera pas d’un envoi de soixante-dix effectifs », concluait-elle. La mise en garde était claire, mais je crains fort qu'elle n'ait déjà rejoint l'effectif ô combien étoffé de ces combats d'arrière-garde menés en vain par les vieux sages du quai Conti. 

Pour terminer cette chronique hebdomadaire, une petite pensée pour les rescapés de mon ancien journal, Le Quotidien de La Réunion, lequel s'apprête à vivre dans l'espoir et la douleur un nouveau départ, à défaut peut-être d'une véritable renaissance. Nouveau patron, nouveaux projets nous dit-on, nouvelle organisation, nouvelles conditions de travail, nouvelle maquette sans doute et, pour recoller tristement à notre sujet du jour, nouvelle coupe franche dans des effectifs déjà faméliques… La partie est encore loin d'être gagnée. Bon courage, les copains. 

dimanche 31 mars 2024

Symbole ... hic

Lu il y a deux jours : « Les bouchons sont encore très présents et avoisinent les 6 kms à 10 h. » (linfo.re)

Nul besoin d'en faire des tonnes (t). Juste quelques lignes pour vous rappeler que vous aurez beau les multiplier à l'infini, les symboles des unités de mesure, qu'ils soient de poids, de temps, de longueur, de viscosité dynamique ou de conductance électrique, resteront invariables au pluriel. C'est ainsi que seul ou accompagné de 10 000 petits camarades, km ne prendra pas de « s » final. Même chose pour kg (contrairement à l'apocope « kilo »), h, l, V, kW, € ou m, que je ne vous ferai pas l'offense de décrypter. Une explication pourrait en revanche s'avérer utile pour min (et non mn) ou s (et non sec), abréviations respectives et si souvent malmenées de minute et seconde. Et que dire de dam (décamètre), Pl (poiseuille), a.l (année-lumière), bbl (baril de pétrole), Ryd (rydberg) ou TW (téréwatt), que l'on ne croise pas tous les jours, je vous l'accorde ?
L'auteur de l'extrait d'article ci-dessous est donc dans l'erreur quand il écrit : 
– « Plus de 36,5 kgs de résine de cannabis en provenance de La Réunion saisis à Mayotte. » (Zinfos974)
Nous en aurons terminé avec le sujet quand je vous aurai précisé que le symbole n'exige pas de point abréviatif lequel, pour mémoire, informe que l'abréviation ne se termine pas par la dernière lettre du mot écrit en long. On le trouve par exemple (ex.) dans M., etc., boul. ou gouv., mais il est logiquement absent de Mme, Mlle, Pr, Dr ou Mgr. 
Point final. 

jeudi 28 mars 2024

Quel pâquaquès !

Ah, Pâques ! Ses tonnes de cacao englouties sans modération, ses joyeuses chasses aux œufs dans la fraîcheur du matin, ses vacances pour les petits, son lundi férié pour les plus grands… Me remontent à la mémoire les souvenirs de mon enfance, époque bénie où, naïvement, je pensais encore que l’agneau que l’on dégustait le dimanche en famille se prénommait Pascal. Ce week-end, j’irai déjeuner chez belle-maman et, sacrilège, il y aura au menu le confit d’un canard dont j’ignore le prénom. Les temps changent, les coutumes se perdent et le prix des cocottes garnies n'en finit plus de flamber. Plus très catholique tout ça. Mais au diable la nostalgie ! Il y a beau temps que je ne crois plus que les mamans des œufs de Pâques sont des poules en chocolat.
 
Comme chaque année, la fête pascale va donc être célébrée un peu partout dans le monde. Avec des traditions, des dates mais aussi des règles orthographiques différentes selon les religions : la pâque juive (Pessah), sans « s » final et le plus souvent sans majuscule, fêtée le quatorzième jour de la lune qui suit l’équinoxe de printemps pour commémorer la sortie d’Égypte du peuple hébreu, la pâque russe, souvent qualifiée de « grande », sur fond d’Ukraine chocolat, la pâque copte, la pâque grecque, et bien sûr, Pâques (avec une majuscule et un « s »), moment de partage pour tous les chrétiens en l’honneur de la résurrection du Christ.
Pour satisfaire votre appétit de savoir, j’ajouterai que Pâques n’a pas mis tous ses ovules dans le même panier. À l’instar d’amour, d’orgue et de délice, il (ou elle, ou encore iel) présente la particularité de posséder les deux genres. Il est masculin – et singulier – quand il est employé sans article (Pâques est tombé tard cette année, Larousse), mais devient féminin – et pluriel – dès lors qu'il est accompagné d’une épithète ou d’un déterminant (L'herbe est douce à Pâques fleuries, Brassens). Quel pâquaquès, n'est-ce pas ! 
Sachez enfin que Pâques est relégué au rang de nom commun dans l'expression « faire ses pâques », qui consiste, en cette période sainte, à aller communier et confesser ses péchés, ce que, je l'avoue devant Dieu, je n'ai plus fait depuis une lointaine et brutale crise de foi. Sur ces bonnes paroles, je n'ai plus qu'à vous souhaiter à toutes et à tous de joyeuses Pâques (selon Larousse et Robert) ou de joyeuses pâques (selon l’Académie).

mardi 19 mars 2024

Accords majeurs

Lu – et entendu – récemment : « La musique, en particulier le chant, a toujours été des passions pour Camille, et ce depuis qu’elle est toute petite. » (linfo.re, Antenne Réunion)

Une fausse note langagière dans un article consacré à une jeune chanteuse en devenir, avouez que c'est un comble. Et comme de bien entendu, elle n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd (enfin, ce n'est pas ce que dit ma femme). Il est vrai que notre journaliste n'a pas fait dans la demi-mesure. Un sujet au singulier, une proposition comparative qui fout la pagaille, un verbe lui aussi au singulier flanqué d'un attribut au pluriel : on a connu partition plus lisible. 
Si je m'étais écouté, j'en aurais profité pour épingler ce « depuis qu'elle est toute petite » auquel je préfère mille fois « depuis sa plus tendre enfance », lequel tour laisse moins entendre que la demoiselle n'a pas grandi. 
Mais je perds le fil de mon histoire. Observons d'un peu plus près l'extrait d'article cité en introduction. Inséré dans le cœur de la phrase, le groupe « en particulier le chant » n'est là que pour apporter une précision à la proposition principale. Il est indépendant et peut très bien être supprimé sans que le sens initial de la phrase ne soit altéré. Mais surtout, il ne fait en aucun cas fonction de deuxième sujet. On aurait pu écrire : « La musique a toujours été une passion pour Camille […] » Pour clore ce couplet, il n'a aucune influence, ni sur le verbe ni sur l'attribut qui suit ce dernier. Nous aurions donc dû lire : « La musique, en particulier le chant, a toujours été une passion pour Camille […] »
À la décharge de mon ancien confrère, ces propositions, que je qualifierai d' « annexes », sont sources de bien des confusions dans l'esprit du scripteur, je vous… l'accorde, a fortiori quand elles sont introduites par  « comme », « ainsi que » ou « aussi bien que ».
Prenons l'exemple suivant : 
« Jean-Pierre, comme Camille, est un passionné de musique. » 
Que l'on pourrait traduire ainsi : « Jean-Pierre, à l'image de Camille, est un passionné de musique. » Le seul et unique sujet de la phrase est Jean-Pierre. Placé entre virgules, « comme Camille » n'est ici qu'un élément comparatif. 
Imaginons maintenant que l'on écrive :
« Jean-Pierre comme Camille sont des passionnés de musique. » 
C'est la même phrase, me direz-vous, mais sans les virgules. Oui, et c'est justement ce qui fait toute la différence. Il n'est plus là question de comparaison, mais d'addition. La disparition des virgules place Jean-Pierre et Camille sur un pied d'égalité. « Comme » équivaut dans ce cas à la conjonction de coordination « et ». Voilà qui suffit à élever la talentueuse Camille au rang de second sujet de la phrase, d'où l'accord du verbe « être » au pluriel. Et tant pis pour ceux qui s'acharnaient à croire que la virgule n'était qu'une simple respiration musicale. 
Vous avez suivi ? 
Bon, je résume : 
– Virgules = idée de comparaison → verbe au singulier
– Pas de virgule = idée d'addition → verbe au pluriel
Eh bien voilà ! c'est fini pour aujourd'hui. Je vous quitte sur cette pensée du jour : la grammaire, comme la musique, est une subtile harmonie d'accords qu'il est un art de déchiffrer. 

mercredi 13 mars 2024

Sortie du cadre

Lu cette semaine : « Pour la petite histoire, Marine Andoche, leur sœur, combattait le même soir dans le cadre du "Best Of Muay Thai 4" au Port. » (linfo.re)

Les défenseurs de l'orthodoxie langagière n'en démordent pas. « Dans le cadre de » signifie stricto sensu « dans les limites de, en vertu de ». Exemple, extrait du quotidien Ouest-France : « Les castanéiculteurs [autrement dit, les producteurs de châtaignes] ont bénéficié d’une enveloppe financière inédite dans le cadre de la loi de finance 2024. » Et pas question de sortir de ce cadre !
Seulement voilà, et c'est là que le bât blesse, « cette locution est souvent employée aujourd'hui au sens de « à l'occasion de », constate Larousse, lequel enjoint de « préférer pour ce dernier sens les équivalents : à l'occasion de, en liaison avec, pendant, etc. » Bien qu'appuyée par nombre de sommités de la langue française, la mise en garde n'a pas pesé lourd face à la puissance de l'usage. Il fallait s'en douter. Résultat : la presse numérique fourmille de… cadrages-débordements illicites. 
« Le journal a fait le lien avec ce joueur de foot interrogé en 2022 lors d'un reportage effectué dans le cadre de la CAN disputée au Cameroun. » (france24.com)
« La Team Douarnenez PrevalRisk recevait Saint-Quentin, champion de France en titre, dans le cadre de la quatrième journée de Top Ligue 1 de billard à trois bandes. » (Le Télégramme)
« À Ploemeur, 34 300 € collectés dans le cadre de Week-end du cœur solidarité et remis à huit associations. » (Nice-Matin)
Le combat mené par les puristes est-il perdu d'avance ? On peut d'autant plus le craindre que notre bonne vieille Académie, d'ordinaire si prompte à monter sur le ring pour croiser les gants avec le mauvais usage, se contente –  sans la condamner – de qualifier de « familière » la locution décriée. Les Immortels du quai Conti ne nous avaient pas habitués à jeter l'éponge aussi rapidement. 

lundi 11 mars 2024

À trop vouloir en faire, on se brûle les « elles »

Lu la semaine dernière : « La première féminine est Patricia Themereau, qui disputait uniquement l'épreuve de cyclisme (25 minutes 51). » (Outre-mer la 1ère)

Grand amateur des rubriques sportives, je me suis toujours étonné d'y croiser des phrases du genre  : 
– « Championnats de France : les féminines de l'A3 Tours attendues » (La Nouvelle République)
  « Dieuze : les féminines en demi-finale de la coupe de Moselle » (Le Républicain lorrain)
– « Au Morlaix Saint-Martin tennis de table, les féminines et les jeunes se distinguent au championnat du Finistère » (Le Télégramme)
Ou pis  :
– « Jodi Bennett, de Courir à Châteaulin, première féminine du trail de Trévarez » (Le Télégramme)
Vous allez me dire que la plupart des adjectifs peuvent s'employer sous forme substantivée. La plupart, oui… mais pas tous. Alors, quand je vois que le jargon sportif a fait de « féminines » – qui sont propres à la femme – l'appellation d'une catégorie dument agréée par de nombreux organismes de tutelle, j'ai mon poil de « masculin » qui se hérisse. « Femmes » ou « dames » ne faisaient-ils pas l'affaire ? 
À trop vouloir en faire, on finit souvent par se brûler les « elles ». 

mercredi 6 mars 2024

Pourquoi ?

Lu hier : « Mais la chaleur humaine qui s'y dégage rappelle ce pourquoi ces lieux réunionnais sont appréciés et particulièrement populaires. » (clicanoo)

Ce pourquoi-là est-il vraiment le bon ? Naguère, n'écoutant que mon intime conviction, je vous aurais répondu par la négative et vous aurais enjoint de lui préférer le plus logique et conventionnel « ce pour quoi ». D'ailleurs, n'est-ce pas l'Académie qui écrivait pas plus tard que le mois dernier : « L’adverbe pourquoi est le résultat de la contraction de la préposition pour et du pronom quoi, mais il n’est pas pour autant le synonyme de la locution pour quoi. Ordinairement, pourquoi s’emploie pour interroger sur la cause d’une chose, tandis que pour quoi s’emploie pour interroger sur son but. »
Seulement voilà, pliant une fois de plus sous le pression d'une tendance qui enfle, fut-elle fautive, Larousse a décrété correct l'emploi des deux expressions au sens de « la raison pour laquelle ». Et ne me demandez surtout pas le pourquoi et le comment de cette prise de position contraire à l'avis de nombreux puristes. 

lundi 4 mars 2024

Les alentours et leurs environs

Lu, la semaine dernière : « Route du littoral : la réouverture sur 4 voies prévue ce mercredi alentours de 5 heures. » (linfo.re)

Bon, je vais être honnête avec vous, preuve qu'il y a un début à tout : je crains fort que la faute observée dans la phrase ci-dessus ne soit pas une faute mais une simple erreur, le fruit d'une banale étourderie et non la conséquence malheureuse d'un manque de savoir-écrire de la part de son auteur. Une vulgaire coquille, en somme, comme on en trouve à tour de sites sur la Toile. Je le crois d'autant plus que l'expression correcte figure quelques lignes plus bas, ce qui renforce la présomption d'innocence de notre journaliste distrait. Alors quoi, j'arrête là et je repars en quête d'une autre victime ? 
Ne comptez pas là-dessus ! Il était dit que je n'aurais pas écrit ces quelques lignes pour rien. Je ne vais donc pas vous quitter sans vous avoir parlé de ce qui sera mon sujet du jour, le terme « alentour ». À l'instar de nombreux mots, le garçon possède une double personnalité. Habillé d'un « s » final, il est un nom qui désigne « les environs » ou, comme on dit pompeusement, des lieux « circonvoisins ». Privé de son « s », il devient un adverbe au sens de « aux environs », « dans l'espace qui est autour », « dans le voisinage ». C'est celui-là que l'on retrouve dans des expressions telles que : « Je pars me promener alentour », 
« les villages alentour ». 
Le hic, c'est que l'usager de la langue n'est pas toujours très au fait de cette distinction :
– « Picardie : quand les balles de golf bombardent les maisons alentours. » (RTL.fr)
– « Les éoliennes sont-elles dangereuses pour le bétail des champs alentours ? » (TF1 info)
– « La structure de la grue a littéralement plié, ce lundi. Le grutier a été évacué sans encombre et les immeubles alentours ont été évacués. » (Le Parisien)
Vous savez ce que disait Guy Bedos ? Il prétendait qu' « aux alentours de la soixantaine, deux seules vraies questions se posent : 1 – Je meurs quand ? 2 – De quoi ? Tout le reste est diversion. »
En attendant de me pencher sur ce macabre questionnement, c'est la mort dans l'âme que je vous abandonne. 

mercredi 28 février 2024

N'allez pas dans le Vaucluse !

Lu hier : « Drame dans le Vaucluse : décès d'une fillette, renversée par un engin de chantier » (linfo.re)

Notre France est un bien beau pays, ne trouvez-vous pas ? Il faudrait être recouvert d'une sacrée couche de mauvaise foi pour prétendre le contraire. Mais si tous nos départements recèlent, ici de décors somptueux, là de petits endroits charmants, il en est parmi eux qui ne facilitent pas la vie des usagers de la langue que nous sommes. 
Prenez le cas de la Maine-et-Loire, par exemple. Eh oui ! j'ai bien dit « de la Maine-et-Loire » et non « du Maine-et-Loire ». C'est la règle. Elle est écrite noir sur blanc sur le site de l'Académie : « Les noms de départements français formés par deux termes coordonnés par et sont de genre masculin si au moins l’un des termes qui les compose est masculin. » Le Lot-et-Garonne est donc un mâle, un pur, un dur, un tatoué, mais la douce Maine-et-Loire, mariage de la Loire et de son affluent la Maine, est bien une demoiselle. 
Oui, enfin, c'est ainsi que les choses auraient dû se passer, car la réalité est tout autre. Aussi, que les habitants de Beaupré-en-Mauges, des Cerqueux ou de Bécon-les-Granits, qui ont toujours cru mordicus que leur département était un pépère, se rassurent : le féminin n'est jamais entré dans l'usage. Comme pour signifier une certaine gêne, l'habitude a toutefois été prise d'employer l'asexué « de » devant Maine-et-Loire lorsque ce dernier (ou cette dernière) est utilisé(e) comme complément : la préfecture de Maine-et-Loire, la Fédération pour la pêche et la protection de Maine-et-Loire, les spécialités culinaires de Maine-et-Loire, etc. Bref, courage, fuyons !
Pour rester dans le thème, j'avais envie de d'évoquer un article de l'Agence France-Presse paru sur un site d'information « péi ». Il y était question d'un fait divers sordide survenu « dans le Vaucluse », là où, je le sais, d'autres auraient préféré « en Vaucluse ». L'Académie, encore elle, est catégorique : « Vaucluse » (le département) tirant son nom de la fontaine de Vaucluse, il n'y a pas lieu d'en faire un nom masculin. Pas téméraires, les grands et vieux sages du quai de Conti se bornent cependant à préconiser les formes « de Vaucluse » et « en Vaucluse », lesquelles ne laissent rien deviner de l'entrejambe (sans s) de ce joli coin de France. Petit doigt scotché à la couture du pantalon (ou de la robe), les collectivités locales vauclusiennes et le quotidien régional La Provence ont suivi le mouvement. « On ira donc en Vaucluse visiter les villes de Vaucluse », en conclut le linguiste Marc Raynal (site Parler Français). Et Dieu sait que certaines d'entre elles valent le détour : Orange, Cavaillon, Avignon…
Tiens, à propos, va-t-on en Avignon ou à Avignon ? Si la question s'est autrefois posée, seuls quelques pédants nostalgiques d'un temps où Avignon était un État pontifical s'acharnent encore à prôner l'emploi de la préposition « en ». Sans condamner cette tournure archaïque, l’Académie, notre papesse de la langue, conseille de l'éviter et de s’en tenir à la règle qui veut que devant un nom de ville, de commune ou de bourg, on emploie « à ». En résumé, « en Avignon » est à ranger aux oubliettes. Idem pour la poussiéreuse « en Arles », souvenir jauni d'un temps où Arles était un royaume. 
Dieu merci, loin des yeux, loin de la langue : notre île est à l'abri de telles dilemmes linguistiques, me direz-vous. Quoique... Vit-on à Étang-Salé ou à L'Étang-Salé, à Trois-Bassins ou aux Trois-Bassins, à Entre-Deux ou à L'Entre-Deux ? Les habitants de Sainte-Suzanne sont-ils des Sainte-Suzanniens ou des Sainte-Suzannois ? Et puis, doit-on écrire « île de la Réunion », graphie adoptée par le décret de la Convention nationale du 19 mars 1793 officialisant le nouveau nom de la colonie, ou « île de La Réunion », selon l'usage en vogue de nos jours ? Les débats sont ouverts. 

jeudi 22 février 2024

Pour que vous ne fassiez plus l'erreur...

Lu récemment dans un média local : « Vous arrivez sur des points pour lesquels vous ne vous entendez pas, la grève se déclenche, mais après il faut essayer de négocier tout de suite pour ne pas que ça s'enlise. » 

Vous avez repéré l'erreur ? Non ? 

Alors, j'en remets une couche : « Stabilisez le pied du sapin pour ne pas qu'il tombe. » (Le Figaro)

Toujours pas ? 

Allez, un dernier indice pour la route, mais c'est bien parce que c'est vous : « Comme les autres témoins, tous en école primaire, elle souhaite rester anonyme "pour ne pas que les parents d’élèves ou la hiérarchie [la] reconnaissent" ». (Le Monde)

Vous donnez votre langue (française) au chat ? N'en ayez pas honte, comme en témoignent ces extraits d'article, même les enseignes les plus respectables de la presse écrite nationale s'y sont brisé la plume, ou plus certainement le clavier.

Encore des journalistes qui ne consultent pas les recommandations de l'Académie et en particulier celle adressée le 5 mai 2014 en ces termes : « La subordonnée complétive de but, encore appelée complétive finale, peut être introduite, entre autres, par la locution conjonctive pour que : Il prie pour qu’il pleuve. Lorsque cette subordonnée est à la forme négative, la négation se trouve à l’intérieur de la subordonnée, c’est-à-dire après pour que : Il prie pour qu’il ne pleuve pas. Placer la négation pas, ou ne pas, entre pour et que est une incorrection, qui s’accompagne souvent de l’omission de la négation ne. »

De Simenon (« Pour ne pas qu'elle reperde pied, il s'est hâté de déclarer […] ») à Bory (« Il avait pleuré toute la nuit d'avant, sous sa capote, pour ne pas que les autres l'entendent. »), nombre d'écrivains célèbres, et parfois Immortels, sont eux aussi tombés dans la piège. Ainsi l'académicien Erik Orsenna se trompe-t-il quand il écrit : « Elle parlait tout bas pour ne pas que ses collègues entendent. » (L'exposition coloniale). Preuve que l'on peut être l'auteur de La grammaire est une chanson douce et laisser échapper ici et là quelques fausses notes. 

mercredi 21 février 2024

Échange de bons procédés

Lu la semaine dernière : « Jeudi 15 février, les élus ont pu échanger avec les représentants des Forces vives au Conseil départemental. »
(Outre-mer la 1ère)

« Macron qui « échange par téléphone avec son homologue égyptien » (BFMTV) ; Zelensky qui « a échangé avec Biden et croit en une "sage décision" du Congrès » (On voit tout) ; Longoria – Pablo, pas Eva – qui « aurait échangé avec l'UNFP pour apaiser les tensions » (Foot national). Et puis, il y a ces élus et habitants de Montret qui, en gens responsables, « ont échangé sur les énergies renouvelables » (Le Journal de Saône-et-Loire), ou ces représentants de Golfe du Morbihan Vannes agglomération qui ont pris la peine d' « échanger avec des lycéens » sur l'idée qu'ils se font de leur belle ville à l'horizon 2050 (Le Télégramme)… Je pourrais multiplier les exemples à l'infini. 
De nos jours, et sans doute l'avez-vous remarqué, on ne parle plus, on ne discute plus, on ne converse plus, pas plus qu'on ne s'entretient avec autrui. Non, on échange. C'est plus tendance, paraît-il. Après tout, quel mal y aurait-il à se laisser porter par l'air du temps si, comme nous y encourage le bon usage du français, nous prenions soin de respecter la règle. Or, « échanger » est un verbe transitif », nous rappellent à toutes fins utiles les ouvrages de référence, y compris les plus ouverts d'esprit, tels que Larousse et Robert. Et à ce titre, il doit être accompagné d'un complément d'objet direct. On échange quelque chose avec quelqu'un, que ce soit de simples propos, des points de vue, des impressions, des promesses ou tout bonnement les derniers potins avec mamie Pierrette.
Nul besoin de préciser que l'usage, le mauvais celui-là, s'en bat l'œil. Il semble d'ailleurs tout aussi peu à cheval sur la règle qui veut qu' « échanger » ne s'emploie à la forme pronominale qu'au sens de « être l’objet d’échanges ». Exemple : « Les fonds négociés en bourse et les contrats à terme sur actions s'échangent à la hausse avant la cloche. » En revanche, on ne dira pas : « Ce mercredi 14 février, à La Pierre Saint-Martin, certains usagers du télésiège Arlas ont dû s’échanger ce genre de petites douceurs, entre amoureux. » 
Un télésiège en panne à la Saint-Valentin : n'est-ce pas un décor romantique pour un tel échange de bons procédés ?

vendredi 16 février 2024

Chaud cacahot

Lu tout à l'heure : « Si le Case Cressonnière, quintuple tenant du titre, est fort logiquement à sa place en tête de cette poule des as, malgré une première sortie cahoteuse face à Lasours (23-21), l’AS Château-Morange […] » (clicanoo.re)

Il n'est pas un ouvrage consacré aux difficultés du français qui ne mette en garde contre la confusion entre les homonymes « chaos » et « cahot ». Sage précaution, le piège a mis K.-O. plus d'un usager de la langue. 
Les deux mots n'ont pourtant rien en commun. Ni leur origine, ni leur sens. Issu du latin chaos, lui-même emprunté au grec khaos (« chaos originel, espace infini, ténèbres, gouffre »), « chaos » signifie « confusion, désordre grave ». Déverbal de cahoter,  « cahot » désigne pour sa part « une secousse subie par un véhicule qui roule sur un terrain pierreux ou inégal » (Académie), une aspérité, un incident, une difficulté. 
Les deux faux jumeaux ont naturellement donné vie aux adjectifs « chaotique » (« qui donne l'impression du chaos ») et « cahoteux » (« qui provoque des cahots »). Attention, « cahotique » n'existe pas ! En résumé, on parlera donc à bon droit d'un sentier, d'un chemin, d'un revêtement cahoteux ou d'une situation, d'une gestion ou d'un monde chaotique. 
Mais quid d'un parcours, d'une carrière ou d'une existence, qui, à force d'encaisser les cahots de la vie, aurait tourné au chaos ? Avouez qu'il y a de quoi hésiter ! Vous ai-je déjà dit que la langue française est parsemée d'embuches ?

mardi 13 février 2024

Larousse : l'énième pirouette

Lu, cette semaine : « Suite à cet énième évènement, le porte-parole du collectif de la résidence sénior, Jean-Baptiste Pierreti, pousse un coup de gueule. » (clicanoo.re)

L'humoriste et journaliste Roland Bacri disait : « La vie, on est toujours à pester contre elle et quand elle nous quitte, on râle. » Eh bien ! moi, je ne sais pas ce que je couve, mais en ce début d'année, je n'arrête pas. Je peste contre tout : la chaleur, les prix qui flambent, le gouvernement qui s'en fout, la bougeotte des ministres des Outre-mer, l'égoïsme des uns, le manque de civisme des autres, souvent les mêmes, et, signe que je ne vais peut-être pas si mal que cela, je continue de pester contre ces fichus linguistes, incapables de s'entendre à propos d'une règle d'apparence aussi limpide que celle que je m'apprête à explorer en votre compagnie. 
Sur les bancs de l'école, nous l'avons tous appris, à défaut peut-être de l'avoir retenu : l'article défini s'élide devant un nom commençant par une voyelle ou un « h » muet, vous savez, celui que l'on trouve dans « habit », « hélicoptère », « histoire » ou encore « hystérie », celui, aussi, qui s'oppose au « h » que l'on aspire parfois trop fort dans « haschich ». Nous avons donc pris l'habitude de dire : l'orthographe et non la orthographe, l'écriture et non la écriture. Et cela nous semble aussi naturel que de respirer l'air pas très net de notre belle planète. 
Oui, mais… L'affaire serait évidemment trop simple si elle s'arrêtait là. Or, dans son biblique Bon Usage, Maurice Grevisse nous fait remarquer qu' « employées comme symboles en mathématiques, les lettres demandent la disjonction, de même que les dérivés ordinaux de n et x, en l'occurrence énième et ixième ». Pour rappel, la disjonction est une pirouette grammaticale qui fait qu'un mot commençant phonétiquement par une voyelle se comporte par rapport aux mots qui le précèdent comme s'il commençait par une consonne. Bienvenue dans l'univers de la langue française !
Partant de ce principe, les grands penseurs de ladite langue (Académie, Robert, Littré et bien sûr Grevisse) nous invitent comme un seul homme à écrire « le ou la énième, le ou la ixième, le ou la huitième, le ou la onzième » et par ricochet, « ce énième, ce ixième, ce huitième et ce ou onzième ». Tous, sauf un. Toujours aussi taquin, Larousse a en effet décidé de jouer les trublions. Dans sa version petite et illustrée 2023, il nous propose un étonnant « pour l'énième fois », puis, quelques pages plus loin, un non moins étonnant « pour l'ixième fois » qui scelle définitivement son absence de penchant pour l'élision. Il reste en revanche très discret sur les raisons de sa dissidence.  
Quoi qu'il en soit, il n'en faut jamais davantage pour semer le trouble dans l'usage. Un coup d'œil sur la Toile vous permettra de constater que plus de la moitié (60 %, selon mon décompte) des sites d'information ont opté pour « l'énième » au détriment de « le ou la énième », mais qu'au mépris de toute cohérence, ils ne sont que 20 % à préférer « cet énième » à « ce énième ». Allez y comprendre quelque chose, si ce n'est qu'en matière de français, il ne faut surtout pas compter sur les médias pour y voir plus clair. 
Raison de plus pour pester, me direz-vous. Même pas. S'agacer contre tout, ça finit par être agaçant.

jeudi 8 février 2024

Faut-il craindre le pire ?


Lu mercredi : « La situation s’est empirée très rapidement. »  (linfo.re) 

La plupart des linguistes contemporains vous le jureront, la main sur leur dernier Bescherelle : le verbe intransitif « empirer » ne doit plus s'employer à la forme pronominale. Il vous est donc loisible de dire (ou d'écrire) que « la situation empire », mais pas qu'elle « elle s'empire ». Aucun, en revanche, ne semble en mesure de justifier cette mise au ban relativement récente. Sans doute sous l'empire d'une inaltérable nostalgie, Littré continue d'ailleurs de mentionner le tour proscrit sans expliquer davantage les raisons de sa dissidence. On ignore tout autant quelle mouche piqua l'Académie qui, après lui avoir battu froid pendant trois siècles, l'accueillit soudain dans la 9e édition de son dictionnaire. 
Un coup d'œil dans le rétro nous permet de voir que « s'empirer » a longtemps eu ses entrées dans la littérature française. Les classiques « s'en sont délectés », confirme Marc Raynal. Mais « de nos jours, ces emplois sont considérés par la plupart des ouvrages de référence comme vieillis ou littéraires », ajoute-t-il. 
Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez en effet trace de « s'empirer » ni chez Robert ni chez Larousse, pourtant réputés pour leur sens de l'hospitalité. Le constat est d'autant plus étonnant que l'usage, probablement sous l'influence de « s'aggraver », se l'est approprié sans une once de scrupule :
– « Manchester United tombe à West Ham, la crise s'empire ! » (Onze-Mondial)
« Si la situation s’empire… » (Ouest-France)
« Depuis le début, la catastrophe ne fait que s'empirer de jour en jour, aussi bien dans les hôpitaux dans lesquels on travaille dans le centr&e de la bande de Gaza et dans le sud, qu'au niveau général de la population. » (Franceinfo)
Faut-il y voir un signe de plus que notre belle langue va de mal en pis ?

jeudi 25 janvier 2024

La plume ne répond plus

Lu hier : « Le navire n'est plus manœuvrable à la suite à une panne. »
(Clinacoo.re)

Encore un journaliste qui a perdu le contrôle de sa plume ! Ce « à la suite à » semble être le fruit d'une malencontreuse confusion entre les tours « à la suite de » et « suite à ». Je profite de l'occasion pour rappeler que, bien que tolérée dans la correspondance commerciale et administrative, la locution « suite à » est fortement déconseillée dans la langue soignée. J'espère que cette petite précision aura permis à mon ancien confrère de retrouver le bon cap. 

mardi 23 janvier 2024

Chronique d'un temps qui nous dépasse

Lu en début de semaine : « Naguère riche en milliards grâce à l'exploitation des phosphates, le micro-Etat de Nauru, qui a annoncé lundi rompre ses liens diplomatiques avec Taïwan au profit de la Chine…. » (Outre-mer la 1ère)

Voilà qui me donne l'occasion de vous parler d’un temps que les moins de 20 ans peuvent très bien connaître. En effet, contraction de la locution « il n’y a guère » (de temps), l'adverbe « naguère » fait référence à un passé récent et non à des temps immémoriaux comme on le croit souvent à tort. Il ne doit donc pas être confondu avec « autrefois » (une autre fois) et « jadis », de l’ancien français « ja a dis » (il y a des jours), qui renvoient à une époque lointaine.
Reste à définir la frontière entre un passé récent et une époque lointaine, me direz-vous. La mission relève davantage de la subjectivité que des sciences exactes. Car si les 40 années qui nous séparent de l'âge d'or du Nauru peuvent paraître une éternité aux plus jeunes d'entre nous, elles ne représentent qu'une goutte d'eau dans l'histoire de ce petit État de 21 km2  à la recherche de son lustre d'antan.  
Tiens, d'antan ! J'allais l'oublier celui-là. Et pourtant, le bougre présente une particularité qui mérite d'être signalée, celle d’avoir changé de dimension temporelle au fil des siècles. Issu de la locution adverbiale ante annum, « il y a un an », il est apparu au XIIe siècle au sens de « l’an passé ». Ce n’est que bien plus tard qu’il est abusivement devenu synonyme d’ « autrefois », acception attestée de nos jours par l’Académie et par tous les dictionnaires usuels. Encore un mot victime du temps qui passe !

vendredi 12 janvier 2024

L'année commence mal

Lu, la semaine dernière : « Carburants : 2024 commence avec une baisse des prix du sans-plomb et du gazole ! »
(linfo.re)

Tout au début était la règle. Celle qui voulait que le verbe « commencer » s'employât : 
– soit de façon absolue : « 2024 commence et les emmerdes recommencent » ; 
– soit de façon transitive : « J'ai commencé l'année avec bienveillance, je vieillis mal… » ; 
– soit flanqué des prépositions « à », dans le cas d'une action prolongée (« Je commence déjà à ne plus tenir mes bonnes résolutions »), « de », plus littéraire, plus précieuse, mais surtout moins sujette à hiatus (« Son attitude commença de m'agacer »), et enfin « par », pour exprimer l'étape initiale d'un processus, d'un événement (« J'ai commencé par manger mon pain noir »). 
Mais voilà, ladite règle a pris du (sans-)plomb dans l'aile depuis la popularité grandissante du tour « commencer avec », qui, bien qu'ignoré des ouvrages de référence, a fait tache d'huile dans l'usage au sens de « commencer par » : 
« A Saint-Avold, le démantèlement du site a commencé, avec notamment la destruction des tours aéroréfrigérantes. » (Le Républicain lorrain, 11/01/2024)
« Les craintes de voir partir Kamel Belghazi ont commencé avec la diffusion du nouveau générique de Demain nous appartient. » (Voici, 11/01/2024)
« 2024 sera probablement une autre année difficile (pour l'offre d'obligations), même si elle a commencé avec l'habituelle offre exceptionnelle de début d… » (Zonebourse, 11/01/2024)
L'année commence mal !

samedi 30 décembre 2023

Équilibre instable

Lu voici quelques jours : « Netflix est le seul acteur avec des comptes à l'équilibre, mais avec une grosse dette à rembourser. » (clicanoo.re)

Entendre ou lire que le bourse de Zurich, le CAC 40 ou le budget des Jeux olympiques de Paris sont à l'équilibre est devenu… monnaie courante. L'expression s'est même étendue au jargon sportif où l'on n'hésite plus aujourd'hui à parler d'une équipe à l'équilibre lorsqu'elle compte autant de victoires que de défaites. 
Si la locution s'est installée dans nos mœurs langagières, elle peine à trouver grâce auprès des ouvrages de référence. Ces derniers semblent manifester une certaine gêne à son égard, lui préférant sa cousine « en équilibre », sans doute mieux formée à leurs yeux. 
« Être, mettre en équilibre », « tenir en équilibre », une « pile de livres en équilibre », « marcher en équilibre sur une poutre », écrit ainsi Robert. « Cela est en équilibre », propose Littré quand l'Académie s'en tient à « présenter des comptes en équilibre ». 
Éternel funambule du bien-parler, Larousse est le seul du lot à oser s'aventurer en terrain instable. « Il est aussi noble de tendre à l'équilibre qu'à la perfection », cite-t-il en effet dans sa version numérique, renforçant ainsi l'avis de ceux qui estiment qu'à l'instar d' « en baisse » et « à la baisse », « en équilibre » traduirait un état alors qu' « à l'équilibre » exprimerait une tendance, une évolution, et ne devrait donc s'employer qu'avec des verbes tels que « tendre, mener, conduire, etc. ». 
Exemples : 
–  La Bourse de Paris est en équilibre (elle a atteint son point d'équilibre). 
– La Bourse de Paris tend à l'équilibre (elle n'a pas encore atteint l'équilibre mais s'en rapproche). 
L'explication a beau relever d'un indéniable bon sens, elle ne fait pas l'unanimité chez les spécialistes de la langue. Quant à l'usage courant, force est de constater... qu'il s'en balance. 

jeudi 28 décembre 2023

C'est tout vu !

Lu le 23 de ce mois : « Ils souhaitent que les médecins obligent les patientes à visualiser le fœtus et écouter ses battements de cœur avant de pouvoir procéder à l’avortement. » (linfo.re)

– « Pour retrouver et visualiser toutes les Unes de Sud Ouest depuis 1944 : cliquez-ici. » (Sud Ouest)
« En cliquant sur "J'accepte", les cookies et autres traceurs seront déposés et vous pourrez visualiser les contenus. » (Le Progrès)
« Cette visite a été l'occasion pour tous de visualiser les locaux […] » (La République du Centre)
Y a un problème ou c'est mes yeux ? Ma vue (avec lunettes) étant bonne, je crains fort qu'il y ait un problème, que Joseph Hanse résume ainsi : « "visualiser" ne signifie pas "voir" », une réalité dont l'usage courant, relayé par les médias, semble se moquer sans vergogne. 
Les dictionnaires usuels (Robert, Larousse, Littré) sont pourtant catégoriques : « visualiser » signifie « rendre visible », « se représenter mentalement » et enfin, dans le langage informatique, « afficher sur un écran d'ordinateur des données numériques », rappellent-ils d'une même voix. L'Académie, quant à elle, continue de le snober, le considérant comme une « extension de sens » que rien ne justifie. En résumé, circulez, y a rien à voir !

lundi 25 décembre 2023

Ne les tuez pas tous !

Lu, la semaine dernière : « Par ailleurs et dans le même sens, Rennes est jumelée avec Sendaï depuis un élan de coopération né des ostréiculteurs de la baie de Sendaï pour venir en aide aux parcs décimés à Cancale dans les années 60. » (clicanoo.re)

Quelle est la définition du verbe « décimer » ? Posez donc la question à votre entourage. Je suis prêt à parier qu'une bonne partie des sondés vous affirmeront, à tort bien sûr, qu'il n'est ni plus ni moins synonyme de « tuer jusqu'au dernier ». Il ne se trouvera guère que quelques fins lettrés pour oser faire remarquer qu'il n'est nul besoin d'envoyer ad patres la terre entière pour décimer. Comme d'habitude, les indécis feront le mort. 

Issu du latin decimere (punir de mort un soldat sur dix désigné par le sort), « décimer » a aujourd'hui perdu son sens originel et s'emploie « lorsqu'on on veut indiquer qu'une partie, souvent importante d'un groupe, d'une population, a péri », définit l'Académie, non sans mettre en garde : « On ne le confondra pas avec le verbe "exterminer", qui marque l'anéantissement, la destruction complète d'un ensemble d'être vivants. » En résumé, tuer, oui, mais avec modération. 

Un pour tous, tous pour un

Lu récemment : « Plus de 550 effectifs ont été engagés, afin de faire respecter les arrêtés préfectoraux d’interdiction de port et transpor...