lundi 24 février 2025

Estomac délicat s'abstenir

Lu hier : « Bon week-end et bon appétit pour la semaine prochaine. »  (linfo.re)

Tous les ouvrages ou sites internet consacrés au bien-parler ou… à la bonne chère en ont fait au moins une fois leur plat du jour. La locution « bon appétit » (prononcez « bonne » mais ne l'écrivez surtout pas) n'a cessé de nourrir les débats depuis son apparition dans notre vocabulaire il y a quelque 800 ans. On la dit grotesque, voire impolie. Pour autant, elle est devenue dans nos bouches affamées un authentique tic de langage. Or, souhaiter bon appétit à quelqu'un est tout aussi absurde que de lui souhaiter bonne soif, l'appétit n'étant rien d'autre que l'« inclination par laquelle on est porté à désirer quelque chose », en un mot, un « désir ». Dirions-nous « bonne envie » à l'attention d'un ami sur le point de soulager ses besoins naturels ?

L'origine de l'expression est à tout le moins est savoureuse. La plupart des historiens de la langue la font remonter au Moyen-Âge, « époque où par superstition, on disait cela à un convive avant son repas, relataient Capucine Trollion et Florian Gazan dans une chronique diffusée en novembre 2022 sur RTL. Dès fois que par la suite, il s’étoufferait en mangeant, ou pire, avalerait un plat empoisonné. "Bon appétit", en gros, voulait dire "Bonne chance !" » Popularisée par Jean de La Fontaine dans sa fable Le Renard et la Cigogne, puis par Victor Hugo dans Ruy Blas, elle fut ensuite boudée par la bonne société, avant de revenir au goût du jour après la Seconde Guerre mondiale sous l'influence des Américains… 

Le fait est que, bien que moquée, « bon appétit » est une des formules les plus utilisées dans le langage courant. Beaucoup y voient une marque de politesse quand certains Gault & Millau de la langue lui préfèrent la très tendance « bonne dégustation » que l'on nous sert aujourd'hui à toutes les sauces, au point qu'elle est devenue presque aussi décriée que l'expression à laquelle elle est censée se substituer. Toujours très à cheval sur les bonnes manières, l'Académie en a le transit intestinal tout retourné. « La langue de la cuisine manie volontiers l’hyperbole. Il arrive souvent aujourd’hui que la formule consacrée qu’on entendait naguère, "Bon appétit", soit remplacée par le sans doute plus chic "Bonne dégustation", quand même il ne s’agirait que de déjeuner d’une salade de tomates ou d’un steak frites », ironise-t-elle. 

L'écrivain Michel Houellebecq trône lui aussi à la table des critiques. « Ces restaurants auraient d’ailleurs été supportables si les serveurs n’avaient récemment acquis la manie de déclamer la composition du moindre amuse-bouche, le ton enflé d’une emphase mi-gastronomique mi-littéraire, guettant chez le client des signes de complicité ou au moins d’intérêt, dans le but j’imagine de faire du repas une expérience conviviale partagée, alors que leur seule manière de lancer : « Bonne dégustation » à l’issue de leur harangue gourmande suffisait en général à me couper l’appétit », écrit-il dans son roman Sérotonine.

Alors, « bon appétit » ou « bonne dégustation » ? Un simple « bon repas » (petit-déjeuner, déjeuner, goûter, dîner, brunch, souper…) siérait amplement  à mon estomac délicat. 

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