« Une langue est faite pour transmettre le meilleur d'hier à ceux qui viendront demain ». Comment ne pas souscrire à cette affirmation de l'écrivain Dominique Noguez ? L'honnêteté oblige cependant à reconnaître que les termes du testament ne sont pas toujours d'une clarté absolue. Prenez le cas du verbe « hériter ». Génération après génération, les linguistes semblent d'accord sur le fait que lorsqu'il est suivi du nom du donateur, ce dernier doit être introduit par la préposition « de ». « Jean-Claude a hérité de sa tante. ». Ils le sont tout autant pour dire qu'accompagné de deux compléments, le donateur et le fruit de l'héritage, il convient d'utiliser la construction « hériter quelque chose de quelqu'un ». « Jean-Claude a hérité de l'âne de sa tante.
» Cela, nous dit-on, a pour avantage d'éviter la répétition du « de » et, en conséquence, la confusion entre les deux compléments. Mouais… OK, même si l'être humain ne cessera de nous étonner, je le crois suffisamment bien constitué intellectuellement pour saisir que dans une expression telle que « Jean-Claude a hérité de l'âne de sa tante », c'est bien l'équidé l'embarrassant objet de l'héritage.
Mais tout a une fin, et la belle concorde bat de l'aile quand « hériter » a pour seul complément l'objet de la succession. Alors que la majorité des spécialistes de la langue (Académie, Girodet, Colin, Capelovici, Thomas…) estime obligatoire l'emploi de la préposition « de », la minorité, Hanse et Grevisse en tête, juge les deux tournures correctes : « Jean-Claude a hérité d'un âne » ou « Jean-Claude a hérité un âne ». Dans les deux cas, je souhaite bon courage à Jean-Claude.
Les dissidents nous rappellent en effet que, né du latin chrétien hereditare, « hériter » a d'abord signifié « donner quelque chose en héritage à quelqu'un » (XIIe siècle), puis « recevoir, recueillir », verbes qui exigent un complément d'objet direct. À l'époque, on héritait une tradition, des idées, détaille Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française. La construction « hériter quelque chose » serait donc, en quelque sorte, une conséquence de l'acception aujourd'hui disparue. De nos jours, l'usage a clairement fait son choix et opté pour le tour « hériter de quelque chose ». Certains auteurs et plus rarement certains médias continuent cependant d'entretenir une survivance du passé. Pas plus tard que le 23 décembre dernier, le Figaro écrivait ainsi : « Près d'un an après avoir quitté Matignon, la députée du Calvados hérite le portefeuille de l'Éducation nationale. » Insécurité dans les établissements scolaires, harcèlement scolaire, mal-être et grogne des enseignants, baisse des vocations, recul du niveau des élèves, polémique autour de Parcoursup… Le legs a tout du cadeau empoisonné.
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