jeudi 25 novembre 2021

Gestes barrières : le commun accord


La situation sanitaire s’est encore détériorée à La Réunion, le taux d’incidence ayant franchi la barre des 220 cas pour 100 000 habitants, faisant ainsi peser la menace d’une 5e vague de contamination. Pour éviter un énième couvre-feu en guise de cadeau de Noël, il faut s’attendre à la mise en place imminente de nouvelles mesures restrictives avec en premier lieu, un renforcement du respect des gestes barrière(s), clé de voûte de la lutte contre le Covid (ou la Covid, selon les goûts). 

C’est l’occasion pour moi d’effectuer une piqûre de rappel au sujet de la règle qui régit en français l’emploi des mots dits en apposition. Et ce n’est donc pas sans quelque arrière-pensée que je me suis permis de placer le « s » final de barrière(s) entre de protectrices parenthèses qui n’ont d’autre but que de ménager le libre arbitre des rares courageux qui liront ce billet. 

Pour ceux qui l’auraient oublié ou qui ne l’auraient jamais su, il n’y a pas de honte à cela, l’apposition est un procédé grammatical par lequel un mot ou une proposition qualifie un nom (ou un pronom) en lui étant juxtaposé, dixit l'Académie française. Exemple : Lucien, son frère, a guéri du Covid. 

L’une des formes les plus courantes de l’apposition consiste à juxtaposer un nom à un autre nom, le second, selon la règle précitée, qualifiant le premier : une voiture tampon (tampon qualifie la voiture), un footballeur vedette, une visite éclair, un chiffre record… Il est à noter que certains grammairiens prônent l’emploi du trait d’union entre les deux mots, d’autres n’en voient pas l’utilité, une position que je serais tenté de défendre dès lors que ladite apposition préserve l’indépendance grammaticale des deux termes apposés et ne débouche donc pas sur la création d’un nom composé à part entière. 

Mais revenons à nos gestes barrière(s) et à ce « s » dont on ne sait que faire, faute de pouvoir réellement répondre à une question qui n’a pas fini de faire débat : les noms placés en apposition doivent-ils s’accorder en nombre avec le nom qu’ils accompagnent ? Si j’osais parodier l’une des phrases culte (sans « s ») du film non moins culte de Jean-Marie Poiré « Le père Noël est une ordure », je dirais : « ç
a dépend et parfois ça nous dépasse. »

L’Académie a pourtant édicté une règle qui paraît simple : « Au pluriel [...], le nom apposé varie uniquement si on peut établir une relation d’équivalence entre celui-ci et le mot auquel il est apposé. » 
Vous suivez ? Un petit truc pour vous aider : intercalez « sont des » entre les deux mots associés et regardez si l’attelage fonctionne. Danseuses étoiles : les danseuses « sont des » étoiles (elles brillent au firmament de la danse), donc ça marche, on accorde. Des dates limites : les dates « sont des » limites (en termes de délai), ça marche aussi, on accorde. Des prix choc, là, ça me choque : les prix ne sont pas des chocs, mais font l’effet d’un choc pour les clients en quête de bonnes affaires en cette période de Noël. Pas d’accord. 

Si la règle est claire, ses interprétations divergent. Il est en effet des exemples nettement moins limpides que ceux que nous venons d’évoquer. Le contraire eut été trop beau. Il en va ainsi de nos « gestes barrière(s) ». Doit-on considérer qu’ils font obstacle à la pandémie à la manière d’une barrière (sans en être une) ou, qu’au contraire, chacun d’entre eux peut être assimilé à une barrière face à la transmission du virus ? Dans le premier cas, l’accord n’est pas utile alors qu’il le devient dans le second. 

Rares sont les linguistes à s’être prononcés sur la question, mais une fois n’est pas coutume, chevalier Larousse et chevalier Robert ont décidé de guerroyer de concert. Comme un seul homme, les frères ennemis de la langue française se sont regroupés sous la bannière des « gestes barrières », traînant derrière eux une armée de partisans. Du Monde au Figaro, en passant par La Voix du Nord, Mediapart, Ouest-France, le Télégramme, L’Obs ou encore Le Dauphiné Libéré, la quasi-totalité de la presse écrite française a emprunté la voie du pluriel. 
Comme d’un commun accord.  

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