Lu hier : « Elle sera réouverte dès 5 heures, mardi matin. » (linfo.re)
Au printemps 2020, une vague épidémique d’une ampleur insoupçonnée s’abattait sur notre planète, déclenchant une déferlante lexicale sans précédent. Des notions et expressions nouvelles, inconnues, méconnues ou oubliées s’invitèrent en quelques semaines dans notre quotidien, comme dans notre langage. Le commun des humains découvrit le sens du mot « pandémie ». Dans l’urgence - médicale bien sûr -, on créa la mal nommée « distanciation sociale ». Nous fîmes la connaissance de la famille confinement (le père et ses deux fils, re- et dé-). Les fins lettrés se mirent à débattre du sexe du diable (le ou la Covid) et l’on s’interrogea sur la cohabitation bancale de deux termes aux liens de parenté évidents : le verbe « rouvrir » et sa cousine substantivée « réouverture ».
« Rouvrir ou réouvrir ? » Telle fut la question. Tous les médias y allèrent de leur billet : « Des écoles qui rouvrent ou réouvrent ? » (Ouest-France); « Rouvrir ou réouvrir : quelle est la forme correcte ? » (Capital.fr); « Rouvrir » ou « réouvrir » : que faut-il dire et écrire ? (RTL). Des questions qui ne manquèrent pas de franchir nos frontières : « Déconfinement : dit-on "rouvrir" ou "réouvrir" ? » (RTBF); « ‘’Rouvrir’’ ou ‘’réouvrir’’ ? Inutile de sortir de vos gonds… » (Le Soir). Sans limite, la contagion n’épargna pas notre île : « Rouvrir ou réouvrir : quelle est la bonne orthographe ?» (Linfo.re). Unanimes, les rédactions passèrent alors la consigne : ce sera « rouvrir » et « réouverture ». C’est comme ça ! Logique ou pas. Point final.
Il est vrai que sur le sujet, dictionnaires usuels et linguistes ne s'étaient jamais embarrassés d'encombrantes explications. Chez Littré, Girodet, Thomas, Hanse, Capelovici, le Petit Robert et l’Académie, un seul mot d’ordre, sec et sans appel : « On écrit rouvrir, mais réouverture ». Une voix discordante s’était toutefois élevée au milieu de ce chœur chantant - presque - à l'unisson, celle de Larousse, qui offre le choix entre « rouvrir » et « réouvrir ».
Sans égal dès qu’il s’agit de remonter le lit d’un mot jusqu’à sa source, Marc Raynal, fondateur-rédacteur du site Parler français, éclaire notre lanterne. S’il concède que la promiscuité entre le verbe « rouvrir » et le nom « réouverture » est contraire à toute logique, il justifie « cette bizarrerie de la langue » par « le fait que le verbe est de formation populaire, et le substantif, d'inspiration savante. » « D'après La Lettre du CSA n° 235 (février 2010), avance-t-il, la forme reouvrir, attestée dès le XIe siècle, se prononçait sans faire sonner le e, qui a fini par s'élider pour laisser place à rouvrir. Selon d'autres sources (Tobler-Lommatzsch, TLFi), le verbe serait directement apparu, au milieu du XIIe siècle, sous la forme élidée rovrir. Le mot réouverture, quant à lui, a été formé plus récemment (au XVIIIe siècle, après une attestation isolée chez Olivier de Serres en 1600), sur le modèle des mots savants directement empruntés du latin (réception, régénération…). On notera, par ailleurs, que la variante orthographique r'ouvrir, attestée du XVIe au XVIIIe siècle environ, a pu entraîner une confusion avec la forme accentuée. Comparez : « [La porte] du Temple refaite et r'ouverte » (Le Grand Dictionnaire historique citant François Eudes de Mézeray, édition de 1683) et « [La porte] du Temple refaite et réouverte » (Ibid., édition de 1692).»
Grand maître es-pièges de la langue française, Bruno Dewaele s’est lui aussi penché sur la question dans un billet publié sur son savoureux blog A la fortune du mot . Selon lui, la graphie "réouvrir" n'a rien de grammaticalement scandaleux. « Lorsqu’il lui faut traduire la réitération devant une voyelle ou un « h » muet », la langue française « use tantôt du « r » seul (ravoir, rentrer, rhabiller), tantôt – et beaucoup plus souvent – du préfixe « ré- » (réaffirmer, réorganiser, réutiliser). En faveur de ce dernier, une plus grande consistance qui l'empêche de passer inaperçu, surtout en présence de verbes courts, par essence plus exposés à une éventuelle homonymie. (…), explique-t-il, tout en observant que « quelquefois, la langue a fait feu des deux bois, accueillant en son sein l'une et l'autre version (rapprendre et réapprendre, récrire et réécrire) ». Réouvrir n’est donc pas « une déformation de rouvrir », en conclut l’Office québécois de la langue française, mais bien « un mot correctement formé et qui a été employé sporadiquement au fil des siècles. (…) On peut choisir l’une ou l’autre des variantes. »
Cependant, sans doute plus doux à l’oreille, « rouvrir » a toujours eu et continue d'avoir les faveurs de l’usage, aux côtés du substantif « réouverture ». Bien que peu harmonieux, le couple est aujourd’hui solidement ancré dans les mœurs langagières, raison suffisante pour clore le débat.
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