Lu hier : « Voilà un genre qui se porte plutôt bien dans notre région de l’océan Indien où les auteurs et dessinateurs féconds sont légions. »
Ne mentez pas, les garçons (et les filles peut-être) ! Par Belenos, qui d’entre nous n’a pas gardé dans un coin de sa mémoire l’image (le dessin serait plus approprié) de ces vagues de légionnaires romains partant au combat, dents claquantes et genoux tremblants, résignés à l’idée de se faire immanquablement tailler en pièces par Astérix et sa bande d’irréductibles Gaulois ?
C’est à cette époque bénie de mon enfance que j’ai découvert le mot légion. Bien des années plus tard, ce vocable est resté associé dans mon esprit - et je crains qu’il ne le soit encore - à ces soldats fantoches volant en éclats, couverts de bosses et d’ecchymoses. Ils étaient fous ces Romains !
Je l’avoue, j’ai longtemps nourri pour eux une affection mâtinée de pitié jusqu’à ce que mes manuels d’école m’apprennent dans la douleur que ces pauvres bougres voués à finir en bouillie étaient en réalité de redoutables combattants assoiffés de conquête, semant terreur, mort et désastre sur leur passage.
Vous l’aurez deviné, c’est donc du côté de la Rome ancienne qu’il faut chercher l’origine du mot « légion », descendant naturel du latin legio, signifiant « choix, faculté de choisir ». Le terme « a pris concrètement le sens de ‘’division de l’armée romaine’’ soit parce que les hommes y étaient recrutés au choix, soit parce que chacun pouvait se choisir un compagnon d’armes », raconte Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française. C’est au XVIe siècle que le mot s’est appliqué à un corps de l’armée française qui deviendra après la Révolution la légion franche étrangère, puis la légion étrangère (1831), ancêtre de celle que nous connaissons aujourd’hui.
Si dans le langage courant, « légion » n’a pas attendu l’époque moderne pour prendre le sens de « beaucoup, grand nombre », l’expression « être légion » n’est apparue qu’à l’aube du XXe siècle. À l’instar de « pléthore » dans la locution « il y a pléthore de », « légion » est invariable dans l’emploi présent : « les erreurs sont légion », « les actes d’incivilité sont légion », etc. Dans l’extrait cité en introduction de ce billet, il eût donc été plus convenable d’écrire : « dans l’océan Indien où les auteurs et dessinateurs féconds sont légion », ce qui, en d’autres termes, se traduit par « il existe dans l’océan Indien une légion d’auteurs et de dessinateurs féconds ».
Hélas (!) les emplois incorrects ne manquent pas sur la Toile. En voici quelques exemples récents : « Une compétition où les surprises sont légions » (Le Parisien) ; « Si les jouets sont légions, il est possible de se tourner vers des coffrets « bien-être"… » (La Dernière Heure) ; « Les recherches pour trouver un traitement sont légions » (La Dépêche) et pour finir, le meilleur : « Les marques de motos faites en France sont légions, ou plus exactement étaient légion » (Le Bien Public).
Par Toutatis ! il est des correcteurs orthographiques qui auraient bien besoin d'une lampée de potion magique.
Remarque : Comme « foule », « troupe » ou encore « marée », le mot « légion » est souvent employé en qualité de nom collectif. Le complément qu’il précède peut alors s’accorder ou non au pluriel en fonction du sens attribué audit complément (on appelle cela une syllepse). Exemples : « la légion de nouveaux fans s’est rapidement manifestée » ou « une légion de contestataires se sont pressés devant les portes de la préfecture ».
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