Lu vendredi : « La guerre en Ukraine, la situation des Corées, l’affaire de Taiwan et, plus près de nous, la question de Mayotte et celle des Chagos posent le problème de la reconnaissance des Peuples et le problème des nations. » (Parallèle Sud)
Quand j'étais jeune journaliste, à l'époque mérovingienne, je croyais dur comme fer que l'on ne touchait pas à un nom propre. Qu'il était comme sacré. Impossible à féminiser. Et que le « s » final du pluriel était… le propre du nom commun.
J'ai dû me résoudre à voir mes belles convictions fondre comme un sorbet goyavier au soleil de Boucan à la lecture du sacro-saint Lexique des règles typographiques en usage dans l'imprimerie nationale, référence en la matière. Le choc fut rude. J'y ai ainsi découvert que les noms de familles royales ou princières, français ou francisés, avaient toute légitimité à prendre la marque du pluriel. Que l'on devait donc écrire les Bourbons, les Capets, les Stuarts (version francisée) mais les Stewart (version anglaise, on ne touche pas à ce qui ne nous appartient pas). Idem pour les noms propres employés par antonomase : des Don Juans, des Cicérons… Même chose pour ceux censés désigner des œuvres d'art par le nom des personnages représentés (exemple : des Cupidons).
Le plus douloureux fut pour moi d'admettre qu'un nom de pays, de région ou de rivière pouvait lui aussi s'accorder au pluriel. À une condition toutefois : qu'il désigne plusieurs pays, plusieurs régions ou plusieurs cours d'eau du même nom. C'est le cas des deux Amériques, des deux Flandres, des deux Sèvres et comme dans la phrase citée en introduction, des deux Corées.
Je ne cache pas que la découverte eut l'effet d'un séisme en plein cœur de mes algorithmes. Je fus toutefois heureux d'apprendre que tous les noms propres n'étaient pas logés à la même enseigne. Que même entourés de votre nombreuse smala, vous demeuriez les Dupont, sans « s », les Garcia ou les Konaté. Il en est ainsi quand on ne fait allusion qu'à une seule famille ou a plusieurs personnes homonymes. Les Borgia, les Bonaparte, les Macron et même les Rothschild (attention à la place des « h » !) n'échappent pas à la règle, preuve qu'on ne prête pas de « s » qu'aux riches.
Selon le précieux lexique mentionné plus haut, les noms de personnes célèbres précédés d'un article pluriel mais ne désignant qu'un seul individu n'y ont pas davantage droit (des Platini, des Giscard, des Veil…), pas plus que les noms de personnes désignant par métonymie des œuvres produites par lesdites personnes : des Baudelaire, des Picasso ou encore des Robert (je parle bien sûr du dictionnaire). Une position que contredit pourtant le grand maître de l'orthotypographie française, Jean-Pierre Colignon, lequel observe un « usage flottant » et préconise à mon grand dam d'écrire « des Dantons, des Hoches, des Robespierres, sauf en cas d' « accords insolites » tels que dans « des de Gaulle, des La Bruyère ou des La Fontaine », nous explique-t-il.
Aujourd'hui encore, je le confesse, je m'efforce de contourner l'obstacle et de parler de « footballeurs de la classe de Platini » ou de « la Corée du Sud et de sa triste voisine du Nord » plutôt que d'avoir à ajouter ce « s » final que je ne saurais voir. Et encore moins, écrire.
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