lundi 10 juillet 2023

Marons, châtaignes et marrons

Lu il y a quinze jours : « Maronage : les révélations du royaume malgache de l’intérieur » (Parallèle Sud)

En découvrant ce titre, paru il y a quinze jours sur mon site préféré, j'ai d'abord cru à la faute de frappe. Bon sang (!), il n'y a donc pas de correcteur à Parallèle Sud ? 

Je l'ai presque cru. Le temps de lire que c'est à Charlotte Rabesahala, « anthropologue, docteure en civilisation, retraitée et libre de parole que l’on doit la disparition du deuxième « r » de marron parce qu’elle refuse qu’on assimile à un fruit ou une couleur les héros de la résistance à l’esclavage ». Soit. Elle en a d'ailleurs profité pour nettoyer « marronnage » de son deuxième « n », ce que je m'explique moins. Mais après tout, pourquoi pas ? Ne suis-je pas le premier à affirmer que pour qu'une langue évolue, pour qu'elle vive et respire, elle doit savoir se libérer des chaînes qui l'entravent ? À dire vrai, j'aurais même poussé l'audace jusqu'à prôner un « maronaz » sans doute plus clair dans son intention et finalement moins choquant aux yeux des intégristes de la langue française.

Bien que louable et légitime, l'initiative de Charlotte Rabesahala ne peut toutefois reposer sur des considérations d'ordre étymologique. Une immersion dans l'histoire nous indique en effet que le vocable décrié n'a aucun lien de parenté, ni avec le fruit, dont le nom est emprunté à l'italien marrone (« grosse châtaigne »), ni avec la couleur qui en a découlé. Le  marron qui nous occupe provient du caribéen mar(r)on (notez déjà l'hésitation sur le double r), lui-même aphérèse de l'espagnol cimarron (montagnard). 

D'abord employé pour qualifier un animal domestique redevenu sauvage, il a ensuite désigné, « par une analogie tristement révélatrice », note Alain Rey (Dictionnaire historique de la langue française), un « esclave noir qui s'est enfui dans les bois pour vivre librement ». Selon les linguistes, le terme serait né de l'imagination des colons, ce qui expliquerait qu'il se soit ensuite propagé, de port négrier en port négrier, jusqu'aux îles de l'océan Indien. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que le mot a revêtu le sens figuré de « qui exerce une activité dans des conditions illégales ». 

De nos jours, le vocable « marron » continue d'alimenter les chroniques linguistiques et pas seulement quand il nous renvoie aux temps barbares de l'esclavagisme. 

Sachez, par exemple, que lorsqu'il désigne une couleur ou est employé en argot au sens de berné, attrapé, refait, l'adjectif « marron » est invariable. Il s'accorde dans tous les autres cas. Or, il n'est pas rare de lire, y compris sous les meilleures plumes : des cheveux marrons, des chaussures marrons , des voitures marrons...

Autre source de débat : dans l'expression « tirer les marrons du feu », le dindon de la fable n'est pas celui que l'on croit. Dans Le Singe et le Chat, La Fontaine écrit en effet : 


Bertrand avec Raton, l’un Singe, et l’autre Chat,

Commensaux d’un logis, avaient un commun Maître.

D’animaux malfaisants c’était un très bon plat ;

Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.

Trouvait-on quelque chose au logis de gâté ?

L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.

Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté

Était moins attentif aux souris qu’au fromage.

Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons

          Regardaient rôtir des marrons ;

Les escroquer était une très bonne affaire

Nos galands y voyaient double profit à faire,

Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.

Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui 

          Que tu fasses un coup de maître.

Tire-moi ces marrons ; si Dieu m’avait fait naître 

          Propre à tirer marrons du feu,

          Certes marrons verraient beau jeu.

Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,

          D’une manière délicate,

Écarte un peu la cendre, et retire les doigts, 

          Puis les reporte à plusieurs fois ;

Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque. 

          Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient : adieu mes gens. Raton

         N’était pas content, ce dit-on,

Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes 

          Qui, flattés d’un pareil emploi,

          Vont s’échauder en des Provinces,

          Pour le profit de quelque Roi.


Dans l'histoire, c'est donc bien Raton qui se retrouve marron. Non content de tirer les marrons du feu au risque de se brûler les pattes, il se les fait faucher sous le nez par son compère Bertrand qui, malin comme le singe qu'il est, les dévore sans vergogne.

Je ne mettrai pas un point final à ce billet sans vous avoir rappelé que, bien que souvent confondus, « châtaigne » et « marron » ne sont pas synonymes. Et non, la châtaigne n'est pas la « femelle » du marron ! Les deux fruits cultivent des différences notables. Primo, la châtaigne a pour habitude de cohabiter avec une ou deux copines dans sa bogue hérissée de piquants alors que le marron, plus volumineux, vit seul dans sa capsule. Secundo, la première est tout ce qu'il y a de plus comestible alors que le marron, toxique, n'est bon qu'à causer maux de ventre, nausées et vomissements. 

Vous l'aurez compris, les marrons que vous consommez grillés, glacés, en crème ou en accompagnement de votre dinde de Noël sont en réalité des châtaignes sauvages ou le plus souvent, modifiées par l'homme pour leur donner des allures de marrons. 

Le savoir pourra peut-être vous éviter de passer pour un gland.  

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