mardi 7 mai 2024

Grand-mère, l'anomalie congénitale

Mes aïeux ! Ou devrais-je écrire « mes aïeuls ! » Dans la langue soignée, il convient en effet de ne pas les confondre. « Aïeux » désigne l'ensemble de nos ancêtres, alors qu' « aïeuls » se limite à nos seuls grands-parents. Et c'est justement de ces derniers qu'il est question aujourd'hui, et en particulier de nos charmantes mamies. 
Quel mot plus familier et plus tendre à notre cœur que « grand-mère », vous ne trouvez pas ? Et pourtant, quel mot bizarre si l'on y regarde de plus près… Il y a d'abord cet assemblage incongru d'un nom féminin avec un adjectif de l'autre sexe. Il y a ensuite cet accord au pluriel tout aussi bancal et sur lequel les linguistes ne sont jamais parvenus à s'accorder. En résumé, sous ses airs rassurants, « grand-mère » a tout d'un immense pied de nez à l'orthodoxie grammaticale et aux poussées inclusives actuelles réunies. 
Ce qui relèverait de nos jours de l'anomalie congénitale n'était cependant que des plus normal au XIIIe siècle, lorsque le terme s'invita dans notre vocabulaire. À cette époque, l'invariabilité en genre était en effet de mise pour les mots issus de la troisième déclinaison latine. C'était le cas de « grand » (« âgé »), descendant direct de grandis.
Il fallut attendre trois
siècles pour voir la forme féminine en « e » généralisée à tous les adjectifs. Au féminin, « grand » devint donc « grande ». Échappèrent toutefois à la nouvelle règle « grand rue », « grand messe », « grand peine », « grand voile », « grand mère » et autres expressions du même type que l'on affublera longtemps d'une apostrophe censée rappeler l'élision du « e » final de « grande ». L'affaire est à tout le moins cocasse, vous l'avouerez, puisque de « e » final, il n'y eut jamais, pour les raisons que nous avons évoquées plus haut. 

Ce n'est qu'en 1935, à l'occasion de la sortie de la 8e édition de son dictionnaire – je rappelle que la 9e n'est toujours pas finie –, que l'Académie décréta enfin que la plaisanterie n'avait que trop duré et décida de remplacer l'inopportune apostrophe par un trait d'union de bien meilleure facture. C'est ainsi que s'implanta dans l'usage la graphie « grand-mère », qu'à part de rares irréductibles, personne ne songe plus aujourd'hui à contester. 
Si l'invariabilité en genre semble désormais gravée dans les mœurs, une évidente confusion entoure toujours l'accord au pluriel de notre mot du jour. Traditionaliste; l'Académie préconise « grand-mères ». Sans doute par analogie avec « grands-pères », Le Robert et Littré plaident en faveur de la forme « grands-mères ». Quant à Larousse, il ne dit rien, si ce n'est que les deux graphies sont acceptables. 
Avant de vous quitter, un petit mot sur le terme composé « arrière-grand-mère ». « Arrière » (comme « avant ») étant un adjectif invariable, il convient d'écrire « arrière-grand(s)-mères » au pluriel et non « arrières-grand(s)-mères ». À moins que les grand(s)-mères en question n'évoluent au poste de défenseuses dans leur club de football pour personnes âgées. 

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