mercredi 29 mai 2024

Troublante proximité

Mine inépuisable pour un chroniqueur de la langue en quête de grain à moudre, les sites d'information ne constituent pas mon unique source d'inspiration, tant s'en faut. Ainsi, l'autre jour, était-ce jeudi, vendredi ou peut-être samedi, je ne sais plus trop, j'écoutais un reportage diffusé sur les ondes d'une radio locale – ne me demandez surtout pas de laquelle il s'agissait – quand j'ai entendu une phrase dont j'ai oublié la teneur exacte, mais qui ressemblait d'assez près à celle-ci : « C’est une espèce animale qui vit proche de l’homme. »
Vivre proche de l'homme ? Tiens donc ! Certes, je ne l'ignore pas : la tournure décriée consistant à employer « proche de » avec un verbe non attributif, c'est-à-dire autre que « être », « paraître », « sembler », « rester », « demeurer », « devenir » ou « avoir l'air », se rencontre encore parfois dans l'usage, y compris dans la presse écrite : 
« Une harde de cerfs habite proche de chez elle. » (L'Union)
« Difficile, pour les Niortais ayant circulé proche de l’avenue de La Rochelle ces derniers jours, d’être passé à côté de la campagne publicitaire. » (La Nouvelle République)
« […] lors de l’inauguration du centre incendie et secours (Cis) implanté proche de la RN176. » (Ouest-France)
Est-ce une raison suffisante pour lui donner crédit ? Sans doute pas. Le conservateur Littré n'y trouve cependant rien à redire, citant, pour nous convaincre, Fénelon (« Pendant qu'il était dans ce doute, Hégésippe arriva si proche de lui, qu'il ne put s'empêcher de le reconnaître et de l'embrasser »), La Bruyère (« Le caprice est dans les femmes tout proche de la beauté pour être son contre-poison ») et Nicolas Perrot d'Ablancourt (« Ils mirent le feu aux maisons qui étaient le plus proche de la muraille »), auteurs ayant comme point commun d'avoir passé à gauche leur arme favorite, la plume, il y a déjà près de… trois siècles.   
À l'époque, en effet, le terme « proche » était employé non seulement comme adjectif ou comme nom, mais aussi comme adverbe ou comme préposition au sens de « près, auprès » : 
« Quand ils sont proche de mourir » (Pascal) ;
« N'allez pas avancer, monsieur, il est tout proche » (Hauteroche).
Si ces tours demeurent grammaticalement corrects, ils sont en grande partie été chassés du langage courant, à l'exception de la locution adverbiale « de proche en proche », synonyme de « en allant d’un endroit à un endroit voisin » ou, au figuré, de « peu à peu, progressivement ». Les linguistes les qualifient aujourd'hui de « vieillis » et recommandent de leur préférer la locution prépositive « près de » : 
« Ils sont près de mourir » ;
« N'allez pas avancer, monsieur, il est tout près ».
Pour ma part, je ne peux que vous exhorter à suivre leur conseil. Cela vous évitera d'essuyer d'inutiles et désagréables… re-proches.  

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