lundi 22 novembre 2021

César, palme d’or de la confusion

Allez, pas de cinoche entre nous ! Je vais vous faire un aveu. Je redoutais le moment, que je savais proche, de devoir aborder ce sujet tant controversé sur la scène linguistique. Et voilà que je lis ce matin dans mon journal préféré qu'un acteur réunionnais (Farouk Saïdi) a été sélectionné "pour les Césars", dont la cérémonie, pour ceux qui l’ignorent encore, aura lieu le 25 février prochain à l’Olympia. 

Je me réjouis bien sûr de ce coup de projecteur sur l'un de nos artistes péi, mais j’imagine déjà les discussions qui vont agiter les rédactions de France et de Navarre à l'occasion de cet incontournable rendez-vous  du 7e art français. « Tu mets une majuscule à César(s) ? » « Et à cérémonie ? » « Tu es sûr(e) qu’il faut accorder « César », c’est un nom propre, non ? » Et à n'en pas douter, les mêmes questions reviendront inévitablement lorsque l'heure sera venue de décerner les pendants américains des « César(s) », je veux parler des « Oscar(s) ». 

N’attendez pas une seule seconde des dictionnaires usuels qu'ils chevauchent à votre secours, telle la cavalerie dans un bon vieux western des années cinquante. Encore faudrait-il qu’ils accordent leurs clairons. Au lieu de cela, nos "photographes" de la langue française entretiennent une cacophonie de choix qu’ils ont parfois bien du mal à argumenter. 
Le Petit Robert a ainsi voté pour « le César de la meilleure actrice » et « La Nuit des César », sans oublier de signaler qu’il s’agit d’un nom déposé, ce qui a au moins la vertu de justifier la majuscule. Ok. Sauf que, quelques centaines de pages plus loin, je tombe nez à nez avec une « cérémonie des Oscars » qui titille ma curiosité. Tiens, l’Américain a donc droit au pluriel quand le Français doit se contenter du singulier !

Perplexe, je zoome sur le Petit Larousse illustré pour tenter d'y voir plus clair. A l’entrée « césar » (avec une minuscule), je lis : liste des lauréats des césars page 2026. Je m'y rends sur-le-champ et découvre qu'à ladite page, ô surprise, la majuscule a fait son retour à l’écran : « le César du meilleur film ». Allez comprendre ! d’autant qu’Oscar (avec une majuscule), lui, ne fait pas l’objet d’une telle différence de traitement. 

Le problème ne semble guère soucier les Académiciens, lesquels ignorent tout bonnement les deux termes. Enfin, Littré effleure "les oscars" du bout des lettres mais pas l'ombre d'un « C(c)ésar » à son dernier casting. 
Ecran noir également chez les linguistes, à part chez Hanse qui propose « deux Oscar ou deux oscars ». En clair, la majuscule et le singulier si l’on considère « Oscar » comme un nom propre, la minuscule et le pluriel si par antonomase, il est abaissé (ou élevé) au rang de nom commun. Nous voilà bien avancés.

Bruno Dewaele, qui décortique avec humour et talent la presse écrite depuis plus de vingt ans à travers son blog « A la fortune du mot », sait de quoi il parle quand il évoque « le doute » qui « taraude régulièrement les salles de rédaction, qui optent plus souvent qu'à leur tour (…) pour la majuscule et l’invariabilité », qui, selon lui,. « sont pourtant loin de constituer la solution la meilleure. (…) Alors pourquoi ces atermoiements ? s’interroge-t-il. D'abord parce qu'ils sont monnaie courante dès lors qu'un nom propre passe à l'ennemi. Il suffit de voir le flou fort peu artistique qui nimbe la graphie des noms déposés, Larousse leur conservant la majuscule, Robert la leur ôtant. »
« Comme si tout cela ne suffisait pas à notre détresse, enchaîne-t-il, le dilemme qui nous occupe trouve à s'enrichir d'un distinguo supplémentaire. Passe encore, me concédera-t-on, que l'on mette un « s » à oscar quand il est question de l'objet, de la statuette, mais quand il s'agit de l'acteur honoré, voire de la cérémonie ? N'est-on pas fondé, alors, à user de la majuscule ? Ne sied-il pas d'imiter l'Académie des... César, laquelle organise chaque année une manifestation que les génériques de télévision nous vendent comme la nuit (Nuit ?) des... César ? »
« À mon humble avis, non, poursuit Bruno Dewaele. D'autant que, si l'on en croit les confidences du regretté Georges Cravenne, cette invariabilité-là ne devrait rien à la grammaire. Elle serait en réalité une concession à l'ego du sculpteur, lequel, conscient que le prix avait usurpé sa propre notoriété, ne supportait pas l'idée que son patronyme fût ravalé au rang d'un nom commun. »

Eminent spécialiste de la typographie, Jean-Pierre Colignon décrit lui aussi « la pagaille et l’incohérence » qui « règnent dans tous les médias » et « au sein des dictionnaires de référence ». Il fustige « la banalisation des termes Oscar et César » et en dépit du choix de l’Académie des arts et techniques du cinéma, organisatrice des César (au singulier), il préconise la « majuscule aux noms déposés de récompenses », soit : la cérémonie des Oscars, des Césars. 
Je le suis d’autant plus facilement sur cette voie de l’unification que personne ne s’est offusqué de la présence d’un « s » à Molière dans « la Nuit des Molières », cérémonie qui récompense ceux qui, chaque année, ont particulièrement brillé sur la scène théâtrale française.

Remarque 1 : Alors que les Césars ont été baptisés ainsi en hommage au sculpteur César Baldaccini, auteur des statuettes remises chaque année aux heureux lauréats, l’origine du mot « Oscar » est beaucoup plus mystérieuse. Certains y voient un clin d’œil au postérieur athlétique du premier mari de l’actrice Bette Davis, Harmon Oscar Nelson. D'autres l’attribuent à Margaret Herrick, secrétaire de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences dans les années trente, qui aurait trouvé dans le trophée dessiné par le chef décorateur Cedric Gibbons une ressemblance avec son oncle Oscar. 

Remarque 2 : une étude réalisée par mes soins sur le web a révélé que 82% des médias consultés ont opté pour la graphie « cérémonie des César » contre 18% pour la graphie « cérémonie des Césars ». Avec 98%, la graphie « cérémonie des Oscars » fait un quasi-carton plein. 

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