Lu récemment : « Un cycliste gravement blessé » (lequotidien.re)
À la façon d’un salarié en fin de carrière dont on n’a plus vraiment besoin mais que l’on conserve dans l'entreprise eu égard à ses nombreuses années de bons et loyaux services, selon l’expression consacrée, il est des mots sortis de l’usage que l’on garde en vie sans que l’on sache vraiment pourquoi.
L’adverbe « grièvement » est de ceux-là. Pourquoi diable le maintenir sous respiration artificielle alors que son faux jumeau « gravement » pourrait parfaitement se débrouiller seul ? Il n’existe pas de vraies bonnes raisons à cela, si ce n’est, semble-t-il, la force de l’habitude ou de la tradition.
Au fil des siècles, le second a en effet pris « grave » le pas sur le premier au point de s’approprier tous ses attributs. Le champ d’action de « gravement » s’étend aujourd’hui de « avec gravité, solennité, sérieux », « dignement, posément, sérieusement, drôlement (familier), beaucoup (familier), anormal (familier) », à « fortement, largement, lourdement, terriblement, d’une manière dangereuse » alors que « grièvement », dérivé de l’ancien adjectif grief, griève (pénible), doit se contenter des miettes : « de façon grave, sérieusement ». En clair, « gravement » pourrait très bien remplacer « grièvement » dans ce qu'il lui reste d'acceptions sans qu'il y ait le moindre grief à lui faire.
Or, par une sorte d’entente tacite, les grammairiens continuent de conseiller l’emploi du désuet « grièvement » avec le verbe « blesser » et les amis de la famille (brûler, toucher, accidenter, etc.) On dira donc de quelqu’un qu’il est « gravement malade » mais « grièvement blessé ». Va comprendre ! La langue française a sans doute ses raisons que la raison ignore… Est-ce si « griave » (ou « grève », c'est au choix) que cela docteur ?
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