On ne verra plus ses gros yeux ronds et apeurés, implorant l’aide des bénévoles venus à son secours. Le beau conte de Noëlle a connu un triste épilogue. Ainsi baptisé parce qu’il s’était échoué sur nos côtes le lendemain de Noël, l’éléphant de mer femelle venu chercher refuge dans l’ouest de l’île est mort hier, pris dans les filets de baignade installés au large de la plage de Boucan-Canot. Cela faisait quinze jours que toute La Réunion était en haleine, suivant quotidiennement l’évolution et surtout l’état de santé de l’infortuné mammifère marin. Moi, le premier.
Mais chassez le naturel et il revient à la nage. Anamorphose professionnelle oblige, je n’ai pu m’empêcher de tiquer à la vue des titres parus hier dans la presse numérique locale à l’annonce de la macabre découverte. « Mort de l’éléphante de mer Noëlle : la chronologie d’un conte de Noël qui se termine mal » (Linfo.re) « L’éléphante de mer, Noëlle, est morte noyée à Boucan Canot » (Zinfos974) « L’éléphante de mer retrouvée morte à Boucan » (Clicanoo) « L’éléphante de mer morte par noyade dans les filets de baignade de Boucan-Canot » (Réunion la 1ère)
Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas. A moins que je ne me trompe, il n’y a aucune trace d' « éléphante » dans la savane littéraire de référence. Si la vague de féminisation des noms s’est propagée ces dernières années à vitesse virale, elle n’a pas encore atteint le monde animal, un monde où l’injustice sémantique règne en maître. Car si le chien a sa chienne, le chat sa chatte, le lion sa lionne, le lapin sa lapine et le cheval sa jument, le perroquet attend toujours sa perroquette, le guépard sa guéparde et le chiot sa ch…
Éléphant, qu’il soit de terre ou de mer, fait partie de ces noms qui n’ont pas de sexe. Ou plutôt qui en ont deux, réunis en un même vocable toujours masculin, genre dominant dans la langue française classique. On parlera donc d’un éléphant mâle et d’un éléphant femelle. C’est comme cela, je n’y peux rien, mais croyez bien que je le déplore du plus profond de la part de femme qui est en moi (nous en avons tous une, messieurs !).
Cette prédominance masculine a régné jusqu’à nos jours dans nombre de professions pas très libérales où d’un point de vue linguistique, la femme n’existait pas. On disait d’elle qu’elle était un ambassadeur (ambassadrice était réservé à la femme de l’ambassadeur), un peintre, un diplomate, un chef d’entreprise, un acrobate. Je me force à croire que je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Je n’en suis (hélas !) pas si sûr, même si depuis lors, une porte s’est ouverte, dans laquelle se sont glissées une juge, une maire, une gendarme, une députée et quelques autres copines.
Dans un élan de parité et avec la bénédiction tardive et un rien forcée de l’Académie française, de nouveaux vocables ont vu le jour, comme par enfantement, la plupart du temps construits à la hâte à partir de leur forme masculine à laquelle on greffa des suffixes pas toujours du meilleur goût : « euse », « trice » et le pire d’entre eux, « eure », prononcez « eureu », c’est encore plus élégant. Sont ainsi entrés dans l’usage les néologismes procureu-reu, ingénieu-reu, auteu-reu (ou autrice), entraîneu-reu (entraîneuse faisait mauvais genre) ou encore sélectionneu-reu (ou euse) ? Pas très féminin tout ça. Dieu soit loué, nous échappâmes de fort peu à sapeuse-pompiè-reu qui, j’en mettrais ma main au feu, n’aurait pas manqué d’alimenter des débats enflammés.
Devant un tel florilège de merveilles de la langue française, je me dis qu’éléphante, finalement, ce n’était pas si mal que ça. J’attends maintenant avec impatience le moment où l’on dira d’un homme qu’il est un « personne », un « majesté », un « célébrité », un « star », un « recrue », un « vigie-requin » ou « un pipelette ». Que dites-vous ? Ce mot ne peut être que féminin ?
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