Lu hier : "En octobre, on nous envoie quelqu’un sous un pseudonyme pour faire le lien entre le gérant et nous, car il ne peut soit disant pas nous parler directement.” (Linfo.re)
Trait d’union manquant, orthographe défaillante, sens galvaudé : les plus pinailleurs des linguistes diraient que ça fait un peu beaucoup pour un seul mot, surtout sur un site qui jouit prétendument d’une réputation de sérieux, ce qu’il ne me viendrait pas à l’esprit de contester.
Expédions d’emblée le cas du trait d’union qui, en français, unit « réglementairement » les éléments d’un mot composé. Je préfère mettre son absence sur le compte de l’étourderie.
Je n’aurai pas la même indulgence à l'égard de la forme « soit ». Retour aux sources : l’adjectif « soi-disant », synonyme de « qui se prétend tel », « qui dit de soi », est fort logiquement composé du pronom réfléchi « soi » (et non de soit, troisième personne du singulier du subjonctif présent du verbe être) et du participe présent « disant », ce qui explique son invariabilité. Il est donc proscrit d’écrire de soi-disants journalistes ou de soi-disantes diseuses de bonne aventure.
Compte tenu de sa définition initiale, « soi-disant » ne devrait s’appliquer qu’à des êtres vivants dotés du langage, seuls capables de « se dire d’eux-mêmes ». C’est pourquoi les puristes, l'Académie, Littré et Girodet en tête, condamnent sans ménagement la dérive de sens qui a fait de « soi-disant » l’équivalent de « que l’on prétend tel, prétendu », ouvrant par là même son emploi aux choses : une soi-disant réforme, un soi-disant film sans paroles… Il apparaît en effet tout aussi absurde d’imaginer un logiciel dire de lui qu’il est révolutionnaire que de parler d’un soi-disant muet, un soi-disant escroc (à moins qu’il ait avoué) ou un soi-disant suicidé.
Oui mais voilà, comme souvent, l’usage a franchi d’un bond les barrières de l’interdit. De guerre lasse, la plupart des spécialistes de la langue française ont fini par rendre les armes : Dupont et Dupond (Larousse et Robert) ont accueilli les emplois critiqués de « soi-disant » avec la mention… « critiqué »... Cela va de soi. Jean-Paul Colin constate qu’il est « difficile aujourd’hui de refuser ces diverses extensions de sens ». Daniel Lacotte considère que « l’usage les a rendues acceptables ». Daniel Péchouin et Bernard Dauphin observent en chœur que l’usage a admis leur emploi. Pour Joseph Hanse, qui plaide « l’évolution sémantique », « le sens premier est depuis longtemps dépassé ». Enfin, et comme souvent, Maurice Grevisse se réfugie derrière « la caution de bons écrivains », comme si de « bons écrivains » suffisaient à rendre correct ce qui ne l’est pas.
Si l’extension de sens de l’adjectif « soi-disant » se frotte encore à quelques poches de résistance, l’emploi adverbial de ladite locution au sens de « prétendument » avance en terrain presque dégagé. On écrit fort bien « il est soi-disant en compagnie d’amis » ou pour reprendre l’extrait de l’article de l’info.re, « il ne peut soi-disant pas nous parler directement ». Pourtant dur en affaires, Littré s'est résolu à l’entériner. Seule l’Académie continue de faire la sourde oreille. Une fois de plus, est-ce vraiment une surprise ?
Pour ceux qui auraient des scrupules à dénaturer l’origine de cette locution piégeuse, notre vocabulaire dispose en « prétendu », « présumé » ou « supposé » d'un échantillon de substituts, soit dit en passant, tout à fait convenables.
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