Non. Même si je le devrais, je ne vais pas me battre ni me montrer impoli pour tenter de vous convaincre que le terme « incivilité » a depuis longtemps dépassé les bornes. Il s’agirait là d’un combat d’arrière-garde que je préfère laisser à d’autres. À l’Académie française, qui se cramponne de toutes ses forces à la seule définition qu’elle admette (manque de civilité, de politesse), à Littré, qui la suit comme son ombre, ou à quelque autre linguiste pur et dur.
C’est trop tard. Dans la langue de tous les jours, le vocable « incivilités » recouvre aujourd’hui des actes graves de violence, de dégradation, qui dépassent de loin une volée d’injures ou le simple dépôt d’un mouchoir en papier usagé sur la voie publique. Le Grand Larousse illustré a déjà ouvert la porte de l’émancipation en évoquant un « comportement qui manifeste l’ignorance ou le rejet des règles élémentaires de la vie sociale ». Le Petit Robert s’y est engouffré sans frapper, considérant qu’au pluriel, « incivilités » désigne « un ensemble de désordres, de comportements d’inconduite, qui ne relèvent pas du code pénal (nuisances sonores, dégradations, manque de respect, attitude agressive, bousculades…) et qui constituent des manquements aux règles élémentaires de la vie en société ». L’usage courant et en particulier les médias ont fait le reste, rejoignant sans le savoir l’une des possibles origines du mot « incivilité » (le latin tardif incivilitas, qui signifie « violence, brutalité ») mentionnée par Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française.
Non. Je préfère attirer votre attention sur l’emploi absurde mais devenu presque systématique de la rubrique « civilité » dans les innombrables formulaires d’état civil que la vie quotidienne nous amène à remplir. Civilité : « M. ou Mme (Mlle a disparu de l’usage administratif) ? » « Poli ou grossier ? » n’aurait pas fait… plus mauvais genre.
Remarque : il ne faut pas confondre « civilité » et « civisme », et par ricochet, « incivilité » et « incivisme ». Le premier est emprunté au latin impérial civilitas (sociabilité, courtoisie), le second d’un autre mot latin, civicus (du citoyen, de la cité). « Civisme » est décrit par Larousse comme une marque de « dévouement envers la collectivité, l’État, et à la participation régulière à ses activités, notamment par l’exercice du droit de vote ». Des valeurs qui n’empêchent nullement de se montrer respectueux des règles élémentaires de civilité, ne croyez-vous pas ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire