jeudi 17 mars 2022

Délit d’ « initier »

Lu lundi : « Bruno Karl a initié les randonnées du droit à la suite du constat d’enclavement des îlets. » (Le Quotidien)

Petit rappel généalogique. Issu du latin classique initiare, le verbe « initier » a successivement signifié « admettre à la connaissance et à la participation des mystères de l’Antiquité », « admettre à la pratique d’une religion, d’une société secrète », mais aussi, « avec l’idée de commencement », nous explique l’éminent Alain Rey, « inculquer les rudiments de quelque chose », sens qui est encore aujourd’hui le sien. 

Tout allait pour le mieux dans la meilleure des langues (cocoricooooo !!!!!) jusqu’à ce que son cousin anglais to initiate (formé à partir du latin initiatus) vienne mettre sens dessus dessous nos habitudes langagières, hérissant du même coup le poil particulièrement sensible des puristes. C’est en effet sous son influence, que vers le milieu du XXe siècle, notre « initier » national a vu son sens étendu à « commencer, amorcer, engager, être à l’origine de, lancer, etc. », acceptions farouchement condamnées et pourtant, en y regardant de plus près, pas si éloignées que cela de celles de l'ancêtre latin (instruire, commencer). 

« Initier ne signifie pas « commencer, amorcer », s'offusque pourtant Joseph Hanse. Sans surprise, Girodet suggère de préférer  « commencer », « entreprendre », « lancer », « mettre en train », « prendre l’initiative de ». Littré snobe tout bonnement le sens honni que Larousse qualifie de « critiqué » et que Robert, jamais très regardant sur le produit, a mis en rayon sans la moindre réserve. 
« On évitera d’ajouter le sens de ''prendre l’initiative de'', qui s’est développé récemment sous l’influence de l’anglais to initiate », conseille pour sa part l’Académie. Enfin, fidèle ami de la chèvre et du chou, le conciliant Grevisse estime que « même si cet usage, attesté en français et dans les langues romanes, n’est pas condamnable », le terme en question « se répand abusivement dans les textes politiques, administratifs, journalistiques ». 
Nous voilà bien avancés !

Le fait est qu’aujourd’hui, le sens critiqué s’est répandu dans l’usage courant au point de supplanter l’acception… initiale. Y compris dans les médias, toujours prompts à propager la mauvaise parole. 
  • « Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, qui a confié dans une interview à Corse Matin être prêt à envisager une «autonomie» de l'île, s'y rend ce mercredi pour initier le dialogue. » (Le Figaro)
  • « Initier un lieu d'échange et de création en résonance avec notre temps. » (Midi Libre)
  • « C'était important pour nous d'initier une série de victoires. » (TV5 Monde)
Alors, que faire ? Pour reprendre la formule du psychosociologue et auteur Jacques Salomé, si je m’écoutais, je m'entendrais... vous dire que la langue française dispose d'un stock de mots suffisamment riche pour ne pas devoir s’alimenter outre-Manche. Mais dans le cas qui nous occupe, le ver anglais est solidement incrusté dans le fruit et rien ne semble pouvoir l'en extraire. À partir de là, doit-on s’opposer à la force de l’usage et faire la guerre aux coupables du délit d’ « initier » ? La décision relève de l’initiative de chacun. 

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