vendredi 4 mars 2022

L'accord à moitié vide, à moitié plein

Lu ce matin : « Près de la moitié de la population réunionnaise est en situation de surpoids. » (lequotidien.re)

D’abord, je tiens à rassurer mes collègues : la phrase citée ci-dessus ne comporte pas de faute. Et par les temps qui courent, c’est presque devenu un luxe inestimable ! Sa présence sur le site d’un journal que j’aime bien me donne simplement l’occasion d’aborder aujourd’hui un sujet qui a souvent le chic de heurter la logique mathématique du scripteur ou du lecteur (tout dépend du côté de l’écrit où l’on se place), je veux parler de l’accord du verbe après un nom collectif (la majorité de, une foule de, une nuée de, une poignée de, le reste de…) ou une fraction (la moitié de, le quart de…)

Les noms collectifs sont des noms au singulier qui ont pour singularité de désigner un ensemble de choses ou de personnes. Tous - ou presque tous - répondent aux mêmes principes, pas toujours très faciles à comprendre pour ceux qui refusent d’entendre qu’un nom précédé d’un déterminant singulier (un, le, ce…) puisse introduire un verbe au pluriel. Dieu sait si je les comprends, j’en ai longtemps fait partie, aveugle et borné que j’étais !

Mais revenons à nos accords et commençons par manger notre pain blanc. Lorsqu’un nom collectif est suivi d’un complément au singulier, le verbe s’écrit lui aussi et tout naturellement au singulier. Exemple : la majorité de la population mondiale est contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie. 

Les choses se gâtent, il fallait bien que cela arrive, quand le complément est un nom au pluriel. Les linguistes estiment en bloc que l’accord se fait avec la fraction si cette dernière désigne une quantité exacte : la moitié des votants (= 50% des votants) s’est exprimée en faveur du projet de construction d’une nouvelle école. 
Dans le cas d'un nom collectif, l’accord se fait « en fonction de l’élément que l’on veut mettre en évidence », explique Maurice Grevisse (Le bon usage). C’est ce que l’on appelle un accord par syllepse. Il se fait selon le sens ou la logique, et non selon les règles grammaticales habituelles. Exemples : la moitié des députés a voté pour le projet de rénovation des maisons du quartier; la moitié des maisons du quartier n’ont pas été rénovées. Dans le premier cas, on met l’accent sur la proportion des députés, dans le second, sur les maisons du quartier. Tout cela est très subjectif me direz-vous et vous aurez bien raison.

De nos jours, une tendance semble toutefois s’être dessinée. Jean-Paul Colin (Dictionnaire des difficultés du français) observe en effet que « le verbe se met de préférence au pluriel », jugeant le singulier « peu naturel ». De son côté, Jean Girodet (Pièges et difficultés de la langue française) qualifie le pluriel de « plus fréquent dans l’usage actuel », rejoignant ainsi sur ce point l’avis de… la majorité de ses amis grammairiens. 
Et vous, qu'en pensez-vous ? D'accord, pas d'accord ? 


Remarque : employé
 de façon absolu ou avec un complément au pluriel, « la plupart » n’introduit jamais un verbe au singulier : la plupart sont…, la plupart des gens sont….Mais on dira fort bien : la plupart de la population est…

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