Lu il y a quelques jours : « Les autorités ont interdit l’importation de produits non essentiels, tous les appareils électroniques et le vin, pour pallier à la crise. »
Vous dire que le mal est profond confinerait à l’euphémisme. Je suis pourtant bien placé pour savoir que les campagnes de prévention ne manquent pas. Ni dans les écoles de journalisme, ni au sein des rédactions de France et de Navarre, Outre-mer compris, ni même dans les repas entre amis où il sied à l'ego de faire étalage de sa culture linguistique.
Verbe transitif direct (autrement dit, qui se construit exclusivement avec un complément d’objet direct, mais bien sûr, je ne vous apprends rien), « pallier », à ne pas confondre avec son voisin d’étage, le substantif « palier », ne doit jamais être suivi d’une préposition. Et c’est sans doute par analogie avec les tournures « parer à », « remédier à » ou « obvier à » qu’est née, qu’a vécu, que vit et que vivra encore longtemps, je le crains, l’habitude maladive qui consiste à employer la tournure scélérate « pallier à ».
Une fois qu’ils ont - fièrement - dit cela, nombreux sont les esprits savants qui pensent avoir tout dit. Or, les virus mentionnés plus haut ne font que masquer une comorbidité autrement redoutable qui n’en finit plus d'inquiéter les grands spécialistes de la langue française, un glissement de sens chronique et pourtant méconnu du commun des mortels. Car contrairement à une idée fausse entretenue par les médias, « pallier » signifie historiquement « dissimuler », « cacher », puis de façon plus récente, « atténuer », « remédier provisoirement », mais en aucun cas « guérir ».
Pour mieux comprendre, il convient - comme souvent - de remonter à l’origine du mot. « Pallier » vient du latin palliare, qui signifie « dissimuler sous un manteau », le pallium. « Pallier, c'est donc cacher ce que l'on ne saurait voir et moins encore montrer, habiller la réalité de façon spécieuse », nous explique avec son humour habituel Bruno Dewaele dans un billet publié sur son blog À la fortune du mot. « Avec ses soins palliatifs, la médecine nous dit assez qu'en l'occurrence il n'est plus du tout question de guérir, mais seulement d'apaiser la souffrance », poursuit le plus chti des linguistes (à moins que ce ne soit l’inverse).
Vaine mise en garde, hélas ! Il y a en effet belle lurette que l’usage a procédé à l’ablation du caractère temporaire, faisant de « pallier » un synonyme de « remédier ». Une simple excursion sur le web suffit pour s’en convaincre. Le verbe en question n'y est que trop souvent employé en dépit du bon sens. Quand je vous disais que le mal était profond, je ne faisais là que dissimuler mon sentiment véritable. En réalité, je le crois incurable.
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