Lu ce matin : « On espère être dans la même continuité pour faire un résultat. Afin de maintenir un peu le suspens. » (clicanoo.re)
Mais enfin, que voulait donc dire l’auteur de la déclaration ci-dessus, entraîneur de handball de son état ? Que ses joueuses vont s’efforcer de préserver leur situation actuelle ? Qu’elles doivent prolonger leur série de bons résultats pour garder l’espoir de se mêler à la lutte pour le titre et d'en rendre plus incertain le dénouement ?
Je vais aller droit au but. Je pense tout simplement que mon confrère de la maison d’en face a été victime — à l’insu de son plein gré ? — d’un dérapage linguistique incontrôlé. Loin de moi l’idée de lui adresser un carton jaune. Car si la confusion entre les paronymes « suspense » et « suspens » est quasi inexistante à l’oral, elle demeure fréquente dans le langage écrit et les médias n’y échappent pas.
« Suspense » et « suspens » ne sont pourtant pas en concurrence. Le premier, avec un « e » final, désigne au sens large une situation, un événement « dont on attend la suite avec une inquiétude très vive » (Larousse en ligne). Le second, sans « d » ni « e » final, ne se retrouve plus que dans la locution adverbiale « en suspens » (momentanément interrompu).
Si les deux mots ont fini par emprunter des chemins différents, ça n’a pas toujours été le cas. Issu du latin classique suspensus, « suspens » a été un adjectif qualificatif signifiant « incertain, indécis » mais aussi un substantif désignant « une attente angoissée » et « le moment qui suscite ce sentiment », avant de se limiter à son acception actuelle.
Comme de nombreux termes d’origine française, il s’en est allé vaquer outre-Manche pour en revenir, cinq siècles plus tard, affublé d’un « e » final, d’une prononciation « so british » (suspenn’s) et d’une étiquette d’anglicisme. Après avoir été cantonné dans le domaine du cinéma, le mot a étendu son terrain de jeu à toute situation à l’issue incertaine, suscitant l’excitation, l’angoisse, l’inquiétude…
C’en était trop pour les plus puristes des linguistes, lesquels, à défaut de proposer une meilleure solution, s’obstinent encore aujourd'hui à conseiller l’emploi du vieux Gaulois «
suspens » à la place du « made in England » « suspense ». Peine perdue. Comme toujours, l’usage n’en a fait qu’à sa tête, suivi comme un seul homme par les dictionnaires usuels.
Et je ne ferai pas durer le suspense plus longtemps : je leur donne raison à cent pour cent.
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