Lu ce matin : « La Chambre d’Agriculture demande donc au Département et à l’Etat des soutiens d’urgence pour relancer les productions. » (lequotidien.re)
— « Conseil départemental, tu mets une majuscule ? »
— « Non, ce n’est pas utile. »
— « Et à cour régionale des comptes, tu la places où ?»
— « Nulle part, il n’y en a pas. »
Des échanges comme ceux-là, il en existe chaque jour, et à la pelle, dans toutes les rédactions de France, mais aussi, je serais prêt à le jurer sur l’écran 28 pouces de mon précieux ordinateur, du Québec, de Belgique, de Suisse romande ou des pays francophones d’Afrique. Les esprits chagrins objecteront que l’emploi de la majuscule n’est qu’un tracas secondaire. Qu’il ne mérite pas qu’on lui sacrifie autant de temps, d’énergie et de neurones. Que tant que le sens des mots n’est pas altéré, il n’y a rien de grave. Bref, que ce n’est pas la taille de la lettre qui compte.
Peut-on leur jeter la pierre sachant que d’une langue à l’autre, les règles varient ? L’Allemagne affuble d’une majuscule tous ses substantifs (noms). Les pays anglophones en gratifient généreusement les noms de jours, de mois et tous les éléments constituant la dénomination d’un parti politique, d’une institution, d’une association, etc. En France, on en use avec parcimonie, sur la base de normes complexes qui diffèrent selon que l’on évoque des noms propres ou moins propres, des toponymes (noms de lieux), des gentilés (noms d’habitants), des événements historiques ou ceux que l’histoire a oubliés, des fêtes religieuses ou moins catholiques, des noms de fonctions, des titres d’ouvrages… La liste est longue, le tout agrémenté de ces fameuses exceptions sans lesquelles la langue française ne serait pas la langue française, mais qui ne contribuent évidemment qu’à embrouiller des principes eux-mêmes pas toujours très faciles à décrypter.
Je me concentrerai aujourd’hui sur le cas qui nous occupe. Comme le rappelle le spécialiste en orthotypographie Jean-Pierre Colignon dans son livre La majuscule, c’est capital !, « on ne met « pas, « en principe », de majuscule aux noms d’organismes locaux ou régionaux », pour la bonne et simple raison qu’ils ne sont pas uniques à l'échelle du pays. Comme moi, vous aurez noté ce « en principe » qui rejoint les « généralement », « souvent », « parfois » qui peuplent les ouvrages consacrés au français et ne les rendent que plus obscurs.
Qu’à cela ne tienne, si l’on se base sur le principe qui veut… qu’ « en principe », il n’est nul besoin de donner aux organismes à caractère multiple (qui existent dans chaque région ou département) l’importance qu’ils n’ont pas, on écrira « chambre d’agriculture », au même titre que « chambre de métiers », « conseil départemental » ou « conseil municipal ». En revanche, la majuscule est de mise dans « Conseil d’État », « Conseil constitutionnel » ou « Inspection des finances ». Elle prend place au premier nom (et pas mot) de la dénomination et à l’éventuel adjectif qualificatif qui le précède. Exemple : la Haute Cour de justice.
Tout serait presque simple si, usant de la majuscule de façon abusive, les services administratifs de nombre de ces institutions ou organismes ne prenaient un malin plaisir à brouiller les casses*. Ne lit-on pas trop souvent des communiqués du type : « Le Préfet de La Réunion, le Président du Conseil Départemental et la Rectrice d’Académie vous informent de la tenue d’une Conférence de presse ce mercredi à 11 heures dans les locaux de la Préfecture. » Vous remarquerez que je n’ai pas orné le mot « presse » d'une majuscule. N’y voyez là qu’une démonstration de plus de la légendaire humilité journalistique…
(*) Boîte plate à compartiments inégaux, dans lesquels sont rangés les caractères typographiques.
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