Invité à la soirée "Del Fuego" du Métisse Club, le jeune Dj Allan 416, 20 ans, n’est pas le seul à ne pas comprendre ce qu’il lui arrive. À des milliers de kilomètres de nos côtes, la jolie (du moins, je l’imagine) Élisa Tirard « ne réalise pas encore » qu’elle a été couronnée Miss Côte picarde 2022. À l’autre bout du globe, en Polynésie française, le surfeur Kauli Vaast » ne réalise pas trop » lui non plus qu’il vient de se qualifier pour les quarts de finale du très relevé Tahiti Pro.
Qu’elles soient reines de beauté ou stars du grand écran, qu’ils soient dieux du stade ou néo-bacheliers, le scénario est immuable. Des cris de bonheur, des larmes de joie, on remercie ses proches sans lesquels on ne serait rien et surtout, face aux micros qui se tendent, on ne réalise pas que l’on vient… de réaliser son rêve.
On le devrait d’autant moins que cette acception du verbe « réaliser » n’est pas du goût de l’Académie, bien que « d’excellents auteurs comme Charles Baudelaire, André Gide ou François Mauriac lui aient « parfois donné (…) le sens d’ ‘’admettre comme réel en esprit’’ », constate la vénérable institution, qui ajoute : « Si cet emploi ne saurait être considéré comme fautif, l’utilisation abusive du verbe réaliser, au sens affaibli de ‘’se rendre compte’’ est en revanche un anglicisme à éviter. Ainsi, on ne dira pas « Il a réalisé qu’il devait partir », mais, par exemple, « Il s’est aperçu, il a compris qu’il devait partir ». « Pas considéré comme fautif » mais « à éviter ». Damned ! Voilà ce qui s’appelle naviguer en eaux troubles.
Vous vous en seriez douté, c’est donc du côté d’Albion la Perfide et du verbe to realize qu’il convient d’aller chercher la cause de cette dérive sémantique vers des acceptions telles que « imaginer », « saisir », « avoir conscience » ou « concevoir ». S’il reste encore un bataillon d’ardents défenseurs de la langue française pour estimer que le sens du mot devrait se limiter à « rendre réel, effectif, élaborer, fabriquer, effectuer », nombre de linguistes se sont rendus à l’ennemi. Chez les dictionnaires usuels, Littré continue toutefois d’ignorer le sens décrié. À défaut de le rejeter à la mer, Robert le qualifie de « très critiqué ». Larousse, enfin, l’héberge sans réserve, suivant ainsi l’usage courant qui s’en est emparé sans la moindre modération, sous l’influence de médias toujours enclins à diffuser la mauvaise parole, surtout quand elle a l’accent british.
Soyons réalistes, j’ai bien peur qu’il faille prendre conscience que tout rêve de voir la tendance s’inverser est aujourd’hui irréalisable…
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