Lu il y a deux jours : « Son exploitant n’a pas de souci à se faire, ni les élus de Saint-Paul, ni nos 13 parlementaires, ni la DEAL, ni les gendarmes, ni la police municipale ne viendra le recadrer et le verbaliser. » (linfo.re)
Je n’éprouve ni honte ni même aucun sentiment de culpabilité à vous avouer qu’une fois n’est heureusement pas coutume, ma route a croisé un écueil auquel je me suis heurté. Ce n’est pas que j’ignore la règle de grammaire dont il est question. Seulement voilà, je m’y suis toujours opposé parce que j’estime qu’elle va à l’encontre du plus élémentaire des bons sens.
À la recherche d’un soutien, je n’ai pas hésité à appeler à la rescousse l’un des plus grands spécialistes contemporains de la langue française, en l’occurrence Bruno Dewaele, ancien professeur agrégé de lettres modernes, auteur de plusieurs ouvrages de référence, champion du monde d’orthographe 1992, chroniqueur de talent ou encore animateur du délicieux blog « À la fortune du mot » (que je vous conseille vivement d’aller explorer) dont il fait profiter, en bon ch'ti qu'il est fier d'être, les heureux lecteurs du quotidien La Voix du Nord.
Voici ce que je lui écris :
Bonjour Bruno,
D'abord bravo pour vos blogs et cet humour raffiné dont vous savez user pour aborder un sujet qui nous a pourtant tous torturés (je vous exclus du lot, bien sûr) dans notre enfance, je veux évidemment parler de notre langue maternelle, si belle et si cruelle.
Modestement, en fin d'année dernière, j'ai moi-même créé un blog à travers lequel, quand mon métier de journaliste m'en laisse le temps, j'essaie tant bien que mal, au gré de l'actualité de l'île de La Réunion où je vis depuis 30 ans, de glisser ici et là quelque utile message aux usagers (de mon choix) de la langue. Je n'ai ni votre passé de linguiste, ni votre culture, ni votre esprit et encore moins votre talent, mais les rares personnes (famille, collègues) à qui j'ai eu l'audace de communiquer l'adresse de mes délires ont encore aujourd’hui la bonté de me faire croire qu'ils prennent un certain plaisir à me lire. Je ne se sais si le monde est peuplé d'hypocrites ou de gens bienveillants.
Si je me permets de vous envoyer ce mail, c'est que je me retrouve bien démuni face à un dilemme grammatical qui ne semble pas en être un pour nos ouvrages de référence, mais qui l'est bel et bien pour mon esprit cartésien : l'accord du verbe après deux sujets coordonnés par la conjonction "ni".
Autant je m'associe pleinement aux règles qui veulent que le verbe s'accorde au pluriel lorsque les deux sujets peuvent effectuer ensemble l'action exprimée par ledit verbe ou lorsque l'un des deux sujets est au pluriel, autant je confesse ma perplexité face aux exemples fournis pour tenter de nous convaincre que le singulier est de bien meilleure facture en cas d'exclusion d'un sujet par l'autre.
Prenons la phrase, lue et relue : "Ni Pierre ni Paul n'est le père de cet enfant". En dehors du fait d'avoir moi-même trois enfants et que, si j'osais, je dirais à Pierre et Paul qu'ils sont des hommes heureux, je ne vois pas ce qui peut bien justifier ce singulier accord. Je lis que c'est ainsi parce que l'enfant ne peut avoir qu'un seul père et Dieu merci pour lui, tout comme un scrutin présidentiel ne peut permettre d'élire qu'un seul président ou qu'un championnat de Ligue 2 ne peut avoir qu'un seul champion, le Stade Malherbe de Caen.
Mais il me semble que l'on se trompe de cadre de référence. Nous sommes tous d'accord pour dire, arrêtez-moi si j'ai raté une avancée révolutionnaire en matière de génétique, qu'un enfant n'a qu'un père biologique. Or, dans le cas qui nous occupe, la question centrale n'est pas de savoir qui est le père de cet enfant mais au contraire, qui ne l'est pas ? En l'occurrence, Pierre, Paul et des milliards d'autres petits veinards sur Terre, ce qui, grammaticalement parlant, change tout. Rien n'empêche ces deux personnes de ne pas être - simultanément - le père de cet enfant. J’aurais donc écrit : « Ni Pierre ni Paul ne sont le père de cet enfant » et d’autant plus s’il leur casse les pieds (imaginez l’accord au singulier dans ce cas de figure).
Je vous l'avoue, voir Pierre, Paul, Jacques, ce fichu mioche à la recherche d'un père et tous ces illustres grammairiens me faire front me rapproche de la grossesse nerveuse. Plus sérieusement, je suis impatient de lire votre avis sur la question.
Une fois encore, merci pour vos délicieux billets. Un conseil, ne mourez jamais.
Bonne journée
Cordialement
Alors, d’accord, pas d’accord ? Au terme de ce billet d’un genre nouveau, je vous laisse et ne manquerai pas de vous tenir au courant dès que la réponse de « Maître Dewaele » me sera parvenue.
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