Lu ce matin : « Saint-Denis : ils offrent plus de 100 repas aux sans-abris le jour de l’Assomption. » (linfo.re)
Il en va de la grammaire comme du sport. Il y a d’un côté la règle, implacable et rigide, et de l’autre côté l’esprit, fait de souplesse et de bon sens, les deux (je parle de la règle et de l’esprit) faisant rarement bon ménage. La règle, c’est par exemple le sort réservé au pluriel des noms composés par les rectifications orthographiques de 1990, monument d’inepties qui n’a eu pour effet que d’embrouiller le cerveau déjà encombré de l’usager de la langue et de provoquer une levée de boucliers de nombreux linguistes. J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais de ce tissu de recommandations que par bonheur, bien peu de gens suivent à la lettre parmi ceux qui ont la malchance de les connaître.
Entre autres choses, le Conseil supérieur de la langue française, présidé par l’écrivain Maurice Druon, décida de « revisiter » (c’est à la mode) les règles du pluriel des noms composés. Dans un souci de simplification, nous dit-on, la première mesure consista tout bonnement à en amputer un certain nombre de leur trait d’union. C'est bien connu, si votre mur présente des fissures, cassez donc le mur, il n'y aura plus de fissures. De ce tour de passe-passe naquirent arrachepied, boutentrain, chaussetrappe, coupecoupe, croquemadame, fourretout, piquenique, tirebouchon ou vanupied, pour ne citer que les plus savoureux.
Pour ceux qui eurent la « chance » d’échapper à l’agglutination, il fut décidé, par exemple, que « les noms composés d’un verbe et d’un nom suivent la règle des mots simples, et prennent la marque du pluriel seulement quand ils sont au pluriel, cette marque {étant} portée sur le second élément » (sic). Résultat : un pèse-lettre, un garde-meuble, un sèche-cheveu, un compte-goutte, mais des pare-soleils, des abat-jours, des chasse-neiges, j’en passe et des meilleures. La règle fut étendue à d'autres noms comme ceux constitués à partir d'une préposition. C'est ainsi que « sans-abri » devint au pluriel « sans-abris », comme si ces pauvres gens qui vivent déjà le drame de ne pas avoir de toit pouvaient soudain imaginer en avoir plusieurs.
Ces recommandations restèrent à l’état de recommandations, l’ancienne orthographe demeurant acceptée. En toute logique, rares sont ceux parmi les linguistes et les médias à les avoir adoptées, Robert étant l’exception qui confirme l’horrible règle, Larousse, quant à lui, se contentant d'en faire mention. Pour une fois que l’audace lui manque, on ne s’en plaindra pas.
En résumé, il vous est donc loisible de choisir entre les pluriels « sans-abri » (à l’ancienne) et « sans-abris » (orthographe réformée). Si après ce billet à charge, par le plus malheureux des hasards, vous veniez encore à hésiter, optez donc pour SDF ! En ce qui me concerne, il y a belle lurette que le choix est fait.
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