samedi 8 octobre 2022

Et Dieu créa la femme... qui écrit

Lu ces derniers jours :  « Et jeudi, Annie Ernaux, autrice notamment de "Les armoires vides" et "Les années", est devenue la première Française à remporter le Nobel de littérature,… » (clicanoo.fr)
« Tout au long de sa carrière d’autrice, elle a su produire une remarquable radiographie de l’intimité d’une femme face aux évolutions de la société, sur fond de violence des classes sociales et de domination masculine. » (La présidente de Région Huguette Bello dans Zinfos974)

Je crois vous l'avoir déjà dit, je suis Normand. Enfin, p'têt ben qu'oui p'têt ben qu'non… Car si mon acte de naissance moisit bien dans un poussiéreux registre d'une mairie au fin fond du Cotentin, mon cœur, lui, est à La Réunion. J'ai éprouvé malgré tout une irrépressible fierté à l'annonce du prix Nobel de littérature 2022 décerné à ma « compatriote » Annie Ernaux. C'est la preuve que la région de mon enfance ne produit pas que des vaches rousse(s), blanche(s) et noir(es) et du bon cidre doux. 
De plus, cette récompense couronne l'immense carrière d'une écrivaine qui, sans doute victime du syndrome de l'imposteur, disait pourtant se « sentir illégitime dans le champ littéraire ». Cocoricooooow (traduction normande de cocoricooooo !!!!) donc !!!!!  Et désolé mesdames si je ne vois guère que ce cri de joie pur mâle de basse-cour pour saluer le sacre — tardif, certes, mais sacre tout de même — d'une de nos plus belles plumes… féminines. 
Vous allez dire que je passe du coq à l'âne, mais l'événement a eu pour effet secondaire de confirmer l'indécision qui règne dans l'usage dès qu'il s'agit de désigner un auteur dépourvu de testostérone. Il en est ainsi depuis que Dieu créa la femme… qui écrit. Auteur, femme auteur, autrice, auteuse, autoresse, authoress, auteuresse et enfin auteure : à travers les âges, les scripteurs ont redoublé d'inventivité pour offrir à la dame une dénomination qui siée à son temps. Mais le remède se révéla souvent pire que le mâle. 
C'est pourquoi certains linguistes persistent et signent : un auteur est un auteur, quelle que soit la nature de ses hormones. L'Académie française a longtemps fait barrage à la féminisation des noms de métiers et de fonctions avant de virer casaque au nom de « l'évolution naturelle de la langue ». N'allez pas croire pour autant que le débat soit clos. Encore aujourd'hui, les spécialistes de la langue continuent de se crêper le chignon sur le choix du terme à employer. 
Apparu au XIVe siècle, puis tombé en désuétude au XIXe au profit du néologisme « auteure », « autrice » a repris du poil de la bête ces dernières décennies. Si Larousse ne sait toujours pas pour qui bat son cœur, Le Robert lui a déclaré sa flamme, rejoignant ainsi le penchant affiché par l'Académie. Ses nombreux défenseurs s'appuient sur le fait que les noms en « -teur » font en général leur féminin en « -trice » (actrice, animatrice, spectatrice, présentatrice, réalisatrice, conductrice…). L'argument est d'autant plus recevable qu'à l'oral, « autrice », contrairement à « auteure », a l'avantage de ne prêter à aucune confusion. 
Il n'en demeure pas moins que l'usage médiatique se montre flottant. Le Figaro, L'Humanité, Marianne et Le Télégramme ont opté pour « auteure » quand Le Monde, Libération, Le Point et Le Parisien lui préfèrent « autrice ». En cas d'hésitation, les substituts ne manquent pas. Vous pouvez toujours vous rabattre sur le mot « écrivaine », sur des termes plus généraux tels que « femme de lettres » ou plus précis tels que « romancière », ou sur les noms épicènes « dramaturge », « biographe », « essayiste » ou « nouvelliste ». La langue française est suffisamment riche pour se montrer à la hauteur de nos besoins.

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