jeudi 3 novembre 2022

Le subjonctif, bien que...

Lu il y a deux jours : « Aucun blessé grave chez les policiers n'est (sic) à déplorer lors de ces interventions bien que des véhicules ont été endommagés et qu'un représentant des forces de l'ordre s'est tordu le genou lors d'une interpellation. » (clicanoo.re)

Par instinct, sans doute, par réflexe, peut-être, plus que par raison, j'aurais écrit : « bien que des véhicules aient été endommagés et qu'un représentant des forces de l'ordre se soit tordu le genou {…} » De toute évidence, je n'aurais pas été le seul à faire ainsi. Les grands penseurs de la langue française semblent en effet cautionner mon choix. La locution conjonctive « bien que », qui exprime la concession, « se construit normalement avec le subjonctif {…} Malgré l'opinion de certains {…}, il est déconseillé d'employer l'indicatif (pour insister sur la réalité du fait) ou le conditionnel (pour insister sur l'idée de condition). On peut toujours tourner autrement. Au lieu de "bien qu'il est capable, on lui refuse ce poste", dire par exemple : "Il est capable et pourtant on lui refuse ce poste" », écrit ainsi Jean Girodet. 
Reste à savoir qui se cache derrière ces « certains » dont il parle. Assurément pas l'Académie, collée, telle une mouche à son âne, à l'exclusif emploi du subjonctif. Pas davantage nos Dupond et Dupont du bien-parler, Larousse et Robert, pas plus que Hanse, Littré, Grevisse ou Thomas. 

Qui, alors ? À force de chercher, c'est du côté de Robert Le Bidois que j'ai fini par détecter les premiers signes de rébellion. L'emploi de l'indicatif après « bien que, quoique, encore que », est admissible, sinon justifié, quand la locution conjonctive est séparée du verbe par une longue intercalation, affirme-t-il. Exemple : « Bien que, l'âge venant et sa complaisance envers lui-même s'exagérant, il en était arrivé à être souvent plus brutal que vraiment drôle. » De son côté, l'Office québécois de la langue française estime que « "bien que" exige généralement le subjonctif », ce qui laisserait évidemment supposer que ce n'est pas toujours le cas.

S'il est déconseillé, « l'indicatif n'est pas rare {…}, concède Joseph Hanse. Il se rencontre chez des écrivains modernes. Des grammairiens tentent de le justifier plus ou moins, mais il faut le considérer comme familier ou archaïque. Le subjonctif s'explique par l'opposition qui écarte comme sans effet, comme aussi inopérant que s'il n'existait pas, le fait, pourtant certain, introduit par bien que : "Il n'est pas venu, bien que nous l'ayons invité." », argumente-t-il. 
Bien qu'il préconise lui aussi le subjonctif, Jean-Paul Colin (Dictionnaire des difficultés du français) observe que « l'indicatif (imparfait, futur) ou encore le conditionnel s'emploient parfois pour souligner une intention particulière : réalité ou éventualité du fait contenu dans la subordonnée concessive ». Même constat chez Daniel Péchoin et Bernard Dauphin (Dictionnaire des difficultés de la langue française) qui qualifient cependant de « vieillies » les constructions avec l'indicatif et le conditionnel. 
Afin d'en avoir le cœur net, je suis allé me balader sur la Toile. L'escapade m'a permis de constater que lors des dernières vingt-quatre heures, 25% des publications numériques à avoir utilisé la locution « bien que » avaient employé les tours critiqués par les puristes. Alors, vieillies, ces constructions ? Pas si sûr que cela…

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