dimanche 19 novembre 2023

OTAN pour vous

Vous connaissez sans doute la profession de lecteur-correcteur. Avant toute chose, je tiens à dire que je n'ai jamais très bien compris l'association de ces deux mots, le second, si je ne m'abuse, impliquant nécessairement le premier. Mais ainsi va notre époque. Tout comme on a fait de l'homme (ou de la femme) de ménage un(e) technicien(ne) de surface, de l'aide-ménager (ou ménagère) un(e) auxiliaire de vie, d'un caissier (ou « ière ») un(e) hôte(sse) de caisse ou d'un éboueur un équipier de collecte, on a vêtu notre bon vieux correcteur d'une nouvelle appellation plus classieuse : il est désormais un lecteur-correcteur. 

Paradoxalement, alors que cette activité de l'ombre mais ô combien utile est en voie de disparition dans le monde de la presse et à un degré moindre dans le secteur de l'édition – il suffit de savoir lire pour s'en convaincre –, elle connaît un vif regain de vocations auprès de preux chevaliers de la langue plus ou moins bien armés pour partir au combat. Un site lui est d'ailleurs consacré, sur lequel lecteurs-correcteurs « formés » (je n'ai pas dit « compétents ») et « amateurs » s'écharpent à longueur de forum. À mes heures perdues, il m'arrive de m'y risquer, protégé que je suis par ma récente formation à l'École française de lecteurs-correcteurs. 

L'autre soir, Josiane X, que je suppose être une femme d'âge mûr, « ex-assistante administrative « d'origine littéraire », vint elle aussi s'y aventurer, trop heureuse de nous livrer son impatience de se lancer dans cette héroïque croisade qu'est la lecture-correction. Et surtout, « merci de m'accueillir sur ce partage. » 

Joie de courte durée, comme on dit dans les gazettes sportives. Car la réplique fut aussi violente que subite. 

« Bonjour, avez-vous une formation de correcteur ?

– C’est moi ou on voit fleurir, depuis quelques jours, une multitude de propositions de "bons élèves en orthographe" qui ont envie de s’improviser correcteur ? Si vous êtes bon en électricité, vous êtes électricien ? Non.

– Ça commence à me courir sur le haricot !  »

« PS : "savoir-faire » est invariable…" »

Au bord du K.-O., Josiane tenta bien de se faire entendre, oh pardon ! de se faire lire, mais dans son affolement, elle allait se porter le coup de grâce : « Autant pour moi, le « s » s'est glissé involontairement. »

J'eus beau faire délicatement remarquer que la préservation d'une espèce aussi noble que la nôtre ne justifiât pas un tel manque de correction, les loups se ruèrent sur la proie. Et la dévorèrent. 

Pauvre Josiane !

Pour votre gouverne, Josiane, sachez qu'au sens de « je reconnais mon erreur et je vais reconsidérer ma position », la seule graphie autorisée est en effet « au temps pour moi ». Si vous avez la bonne idée d'aller consulter les ouvrages de référence, vous apprendrez qu'il s'agit d'une injonction d'origine militaire dans laquelle « au temps ! » se disait « pour commander la reprise d’un mouvement depuis le début », rappelle ainsi l'Académie.

Quant au site mentionné plus haut, je vous encourage, chère Josiane, à ne plus le fréquenter. Ou avant d'y retourner, de vous doter d'un système de défense et de sécurité autrement inattaquable. 

OTAN pour vous !

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