samedi 11 mai 2024

Je turbule, tu turbules, il turbule...

S'ils sont censés faire évoluer la langue française, tous les néologismes ne sont pas du meilleur goût. Ni d'une grande utilité, d'ailleurs. Mais ce matin, alors que je roulais vers mon marché forain préféré – le plus proche de mon domicile serait plus exact – j'entendis sur les ondes d'une radio locale cette phrase qui m'a davantage titillé, amusé, séduit que… troublé. À quelques syllabes près, elle disait ceci : « Le vent va continuer de turbuler dans certaines régions de l'île. » 
Turbuler. N'est-ce pas mignon ? « Souffler » et a fortiori « troubler » auraient très bien fait l'affaire, me direz-vous. Oui, certes, mais non. Ni l'un ni l'autre n'exprimeront jamais cette agitation espiègle et désordonnée véhiculée par ce verbe que ni Littré, ni Larousse, ni Le Robert, ni même le Dictionnaire historique de la langue française du regretté Alain Rey ne reconnaissent pourtant. 
RTL Réunion, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, n'est pas la première à avoir recours à ce mot empreint d'une poésie naïve. Dans une interview accordée au Parisien en 2018, l'ancien ministre Jean-Pierre Chevènement confia ainsi, évoquant Emmanuel Macron : « J'apprécie qu'il ait réussi à faire turbuler le système. C'était mon objectif en 2002. Il y est arrivé en 2017 ! » Un an plus tôt, Le Monde titrait : « Macron fait aussi turbuler les think tanks ». Et déjà, en 2016, L'Opinion s'interrogeait : « Macron peut-il faire turbuler le système ? » Qui aurait cru que notre cher président pût être une telle source d'inspiration linguistique, lui qui s'était surtout manifesté dans ce domaine par son désormais célèbre « enfilage de perles » ? 
À ma connaissance, seul le Trésor de la langue française s'est aventuré à doter notre verbe du jour d'une définition en bonne et due forme. Je vous la livre in extenso : « Turbuler, verbe intrans., rare. Avoir un comportement turbulent. Synon. chahuter. Une foule épaisse coulait le long des baraques ; des ventrées d'enfants turbulaient, soufflant dans des trompettes, barbouillés de pain d'épice, éveillés et morveux (Huysmans, Sœurs Vatard, 1879, p. 79). »
Vous vous en doutez, mon vœu le plus cher serait évidemment de la voir se propager à l'ensemble de nos dictionnaires usuels. Quitte à passer pour un trublion aux yeux des puristes.  

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