mardi 3 septembre 2024

Situation critique

Lu la semaine dernière : « Du 29 août au 8 septembre, près de 4.400 athlètes (dont 14 Ultramarins) en situation de handicap s'affronteront dans 549 épreuves pour tenter d'être le ou la meilleur(e) de leur discipline et se hisser sur la plus haute marche du podium. » (Outre-mer la 1ère)

Vous l'avez peut-être remarqué, il est des mots qu'il ne fait pas bon prononcer. Le plus souvent, pour éviter de blesser ou de réveiller le souvenir de périodes sombres de notre histoire. L'un des plus anciens d'entre eux est le terme « Noir ». Supplanté par « nègre » à l'époque de la traite esclavagiste, il est réapparu au milieu du XIXe siècle après l'abolition de l'esclavage avant de faire place à son tour à l'expression « personne de couleur », élargie depuis à tout individu non blanc. 
Beaucoup plus tard, les grands penseurs de la langue se sont attaqués à des mots stigmatisant un handicap physique ou une profession jugée peu valorisante. Ainsi ne ne parle-t-on plus d'un nain, d'un aveugle ou d'un sourd mais d'une personne de petite taille, d'un malvoyant, d'un malentendant. Adieu aussi femmes de ménage, caissières ou encore éboueurs, devenus respectivement agent(e)s d'entretien, hôtesses de caisse et agents de propreté urbaine. Même notre populaire dame pipi a été rebaptisée. C'est désormais un(e) agent(e) d'accueil et d'entretien qui vous attend près de l'urinoir. 
Cette vague de nettoyage lexical serait des plus louables si elle ne portait parfois atteinte à l'intégrité de la langue elle-même. Prenez cet engouement récent pour le tour consistant à affubler la locution « en situation de » de noms évoquant un état peu enviable, voire honteux. De tous ces termes, le plus fréquemment employé est « handicap » qui, en cette période paralympique, l'emporte dans un fauteuil devant précarité, vulnérabilité, chômage ou surpoids. En fouinant sur la Toile, j'ai même croisé des « étudiants en situation d'autonomie », un « déplacement en situation de vigilance » et une « France en situation de blocage », preuve que l'imagination de l'usager est sans limites. 
Dieu merci, je ne suis pas le premier à pointer du doigt une telle prolifération, classée par l'Académie au rang des « extensions de sens abusives ». « Une certaine langue technocratique […] a la fâcheuse habitude d’ajouter des mots qui ne semblent pas avoir d’autre utilité que de donner une manière de vernis scientifique aux propos tenus. C’est ainsi que les locutions au chômage ou en chômage sont fréquemment remplacées par en situation de chômage. Peut-être y a-t-il une volonté de ne pas dire il est chômeur et de ne pas faire de ce nom une qualité inhérente à tel ou tel ; mais dans ce cas, ajouter en situation de est inutile puisque chômage désigne déjà un état, une situation. Notons qu’en situation de… se rencontre aussi avec une valeur euphémistique dans la locution en situation de handicap, employée de plus en plus en lieu et place de l’adjectif handicapé », écrivait-elle le 3 juin 2021. 
Le magazine Marianne a lui aussi étudié la situation. Et il en remet une couche. « En situation de précarité » : ne renonçant jamais au ridicule, la novlangue technocratique nous abreuve de cette locution souvent euphémistique qui semble avoir été inventée pour ne pas stigmatiser certains individus, mais qui donne au contraire l’impression que le fait d’être pauvre ou handicapé est si honteux qu’il ne faudrait jamais prononcer ces mots. »
Euphémisme ? Pléonasme ? Sans doute, mais pas seulement… On en oublierait presque l'essentiel. Les dictionnaires usuels nous rappellent en effet que la locution « en situation de » n'a d'autre signification que « en mesure de, à même de, bien placé pour ». Nous sommes bien loin, vous l'avouerez, du sens qui lui est prêté de nos jours. De plus, ne manquent de souligner Le Robert et l'Académie, ladite locution ne se construit pas avec un nom mais suivie d'un verbe à l'infinitif. «  Je ne suis pas en situation de m'opposer à ce projet. » (Larousse) ; « Il est en situation de gagner. » (Académie)
Autant de bonnes raisons de se débarrasser bien vite de cette mode langagière insupportable. Hélas ! j'ai bien peur que la situation soit irréversible. 

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