Vacant à d'autres occupations, je n'ai pas eu le temps de réagir à chaud à un événement qui a beaucoup fait jaser, comme disent nos cousins québécois. Le 24 octobre dernier, en plein débat sur le budget 2025, le député réunionnais Frédéric Maillot a cru bon de formuler une proposition aussi étonnante qu'hors-sujet : la mise à l'ombre de l'expression « travail au noir ». « Pourquoi parler de “travail au noir” ? Ne pourrait-on pas plutôt utiliser “travail dissimulé”, pourquoi à chaque fois que ce serait négatif ce serait le mot noir qui serait employé ? » s'est-il insurgé, citant au passage les expressions « liste noire », « mouton noir » et « broyer du noir ».
Pour information, le « travail au noir » n'est pas un phénomène récent. Il remonte au Moyen-Âge, époque où, au nom de la tradition catholique, le repos nocturne n'était pas un droit mais un devoir. Si, si, vous avez bien lu. Alors qu'aujourd'hui, on en majore le paiement, les heures travaillées après la tombée du jour étaient autrefois punies d'amendes. Mais les règles étant faites pour être transgressées, bon nombre employeurs bravèrent l'interdit. « Travailler au noir » signifie donc « travailler dans l'illégalité, la clandestinité », notions également présentes dans « marché noir » ou « caisse noire ».
Au-delà de faire le buzz, l'intervention de Frédéric Maillot aura permis de se pencher sur une de ces nombreuses expressions que nous employons couramment sans même en connaître l'origine. Je rejoins d'ailleurs notre élu quand il dit que l'adjectif « noir » sert le plus souvent à qualifier, ici une période tragique de notre histoire, là un sentiment de déprime, une vision pessimiste ou quelque pratique occulte, rite satanique et sombre dessein. Devons-nous pour autant gommer de notre vocabulaire ce petit café noir si roboratif après une nuit blanche passée à dévorer un bon vieux roman noir ? Et que dire de ce raisin, noir lui aussi, tout aussi savoureux que le blanc, de cette mer Noire qui, à y regarder de plus près, ne l'est pas tant que cela ou de cette année 2025 qui s'annonce plus noire que noire pour le porte-monnaie des Réunionnais, qu'ils soient cafres, malbars, zarabs, chinois ou Blancs, Petits et Gros ?
Cela étant dit, je ne peux que me réjouir de l'intérêt porté par Frédéric Maillot aux subtilités de la langue de Molière, la chose est tellement rare de nos jours. J'espère simplement que la mission de notre jeune et impétueux député ne se bornera pas à une simple croisade sémantique (il animait dernièrement un colloque sur la discrimination linguistique au sein de la République). Au-delà des mots, il est des maux autrement inquiétants (vie chère, crise du logement, chômage, insécurité..) dont souffrent les électeurs qui, en juillet dernier, lui ont signé un chèque… en blanc.