vendredi 8 novembre 2024

Le jour et la nuit

Vacant à d'autres occupations, je n'ai pas eu le temps de réagir à chaud à un événement qui a beaucoup fait jaser, comme disent nos cousins québécois. Le 24 octobre dernier, en plein débat sur le budget 2025, le député réunionnais Frédéric Maillot a cru bon de formuler une proposition aussi étonnante qu'hors-sujet : la mise à l'ombre de l'expression « travail au noir ». « Pourquoi parler de “travail au noir” ? Ne pourrait-on pas plutôt utiliser “travail dissimulé”, pourquoi à chaque fois que ce serait négatif ce serait le mot noir qui serait employé ? » s'est-il insurgé, citant au passage les expressions « liste noire », « mouton noir » et « broyer du noir ». 

Pour information, le « travail au noir » n'est pas un phénomène récent. Il remonte au Moyen-Âge, époque où, au nom de la tradition catholique, le repos nocturne n'était pas un droit mais un devoir. Si, si, vous avez bien lu. Alors qu'aujourd'hui, on en majore le paiement, les heures travaillées après la tombée du jour étaient autrefois punies d'amendes. Mais les règles étant faites pour être transgressées, bon nombre employeurs bravèrent l'interdit. « Travailler au noir » signifie donc « travailler dans l'illégalité, la clandestinité », notions également présentes dans « marché noir » ou « caisse noire ».  

Au-delà de faire le buzz, l'intervention de Frédéric Maillot aura permis de se pencher sur une de ces nombreuses expressions que nous employons couramment sans même en connaître l'origine. Je rejoins d'ailleurs notre élu quand il dit que l'adjectif « noir » sert le plus souvent à qualifier, ici une période tragique de notre histoire, là un sentiment de déprime, une vision pessimiste ou quelque pratique occulte, rite satanique et sombre dessein. Devons-nous pour autant gommer de notre vocabulaire ce petit café noir si roboratif après une nuit blanche passée à dévorer un bon vieux roman noir ? Et que dire de ce raisin, noir lui aussi, tout aussi savoureux que le blanc, de cette mer Noire qui, à y regarder de plus près, ne l'est pas tant que cela ou de cette année 2025 qui s'annonce plus noire que noire pour le porte-monnaie des Réunionnais, qu'ils soient cafres, malbars, zarabs, chinois ou Blancs, Petits et Gros ? 

Cela étant dit, je ne peux que me réjouir de l'intérêt porté par Frédéric Maillot aux subtilités de la langue de Molière, la chose est tellement rare de nos jours. J'espère simplement que la mission de notre jeune et impétueux député ne se bornera pas à une simple croisade sémantique (il animait dernièrement un colloque sur la discrimination linguistique au sein de la République). Au-delà des mots, il est des maux autrement inquiétants (vie chère, crise du logement, chômage, insécurité..) dont souffrent les électeurs qui, en juillet dernier, lui ont signé un chèque… en blanc.  

vendredi 25 octobre 2024

Non, mais des fois !

Lu mardi : « Mais quelques fois il faut du temps pour que la victime reconnaisse son statut. » (Imaz Press)

La distinction entre l'adverbe « quelquefois », sans « s » final à « quelque » et en un mot, et le groupe nominal « quelques fois », formé du déterminant indéfini « quelques » et du nom « fois », est moins simple à établir qu'il n'y paraît. 
Dans la plupart des cas, les deux homophones ne sont pas interchangeables. Apparu à la fin du XVe siècle au sens de « une fois, un jour » (Si vous le saluez quelquefois (La Bruyère)), « quelquefois » est aujourd'hui synonymes de « parfois, en certaines occasions, de temps à autre, à l'occasion ». 
– Je m'interroge quelquefois sur les raisons de son mal-être.
– Il est quelquefois méprisant.
– Le remède est quelquefois pire que le mal. (Acad.)
– Pensées souvent originales, quelquefois paradoxales, mais toujours enchanté.
Au moindre doute, dites-vous que « quelquefois » peut être remplacé par « parfois ». Sachez également qu'il accompagne en général un verbe, plus rarement un adjectif, et que sur l'échelle temporelle, il se situe après « jamais » et devant « souvent » et « toujours ». 

« Quelques fois », lui, signifie « plusieurs fois, un certain nombre de fois ». Il marque la pluralité. 
– J'ai tenté quelques fois (= plusieurs fois) de l'aborder. 
– Cette année, nous sommes allés quelques fois (= plusieurs fois) au cinéma ensemble.
La nuance est particulièrement subtile, je vous l'accorde. « Il arrive parfois (quelques fois ?) que le contexte ne permette pas de choisir entre ces deux homophones : Nous nous sommes croisés quelquefois (parfois) ou quelques fois (plusieurs fois) », nous explique Marc Raynal sur son blog Parler Français. Connaissant la pertinence de ses analyses, je ne vois rien qui vous interdise de lui prêter… quelque foi. 

mardi 22 octobre 2024

Un caillou dans la chaussure

Lu la semaine dernière : « Un mur en pierre artificielle au lieu de l’habituel pierre de moellon, voici ce que le public a vu au voile de la mariée. […]  L’ancien maire de la commune, Stéphane Fouassin n’a pas tardé à afficher son mécontentement sur Facebook. "Comment peut-on construire un mur en pierres artificielles près des murs en moellons auprès du voile de la mariée…" » (linfo.re)

« En pierre artificielle » ou « en pierres artificielles » ? J'imagine la détresse de mon ancien confrère lorsqu'il s'est retrouvé au pied de ce mur-là. Dans le doute, il a donc choisi de… ne pas choisir et de faire d'une pierre deux coups. Une fois au singulier, une fois au pluriel : faute à moitié commise sera forcément à moitié pardonnée. 
Ne comptez pas sur moi pour lui jeter le moindre petit caillou. Sur l'accord en question, les linguistes eux-mêmes affichent leur désaccord… ou leur mutisme. À défaut de règle gravée dans le marbre, Larousse est finalement l'un des seuls à proposer un principe qui, me semble-t-il, relève du pur bon sens. « Lorsqu'il (le mot "pierre") peut être compris dans l'un ou l'autre sens, nous dit-il, les deux orthographes sont possibles : un mur de pierre (= construit avec de la pierre) ou de pierres (= construit avec des pierres) ». Dans un cas, on met l'accent sur le matériau ; dans l'autre, on insiste sur les éléments d'assemblage. Logique, n'est-ce pas ? Qui oserait encore dire que nos bons vieux dicos ne cassent plus des briques ?
  

lundi 14 octobre 2024

Qu'importe le flacon...

Lu il y a trois jours : « Un jeune Saint-Paulois de 18 ans a été jugé pour avoir gravement blessé son beau-père alors que toute la famille était alcoolisée. » (linfo.re)

Faudrait-il que j'aie le rhum belliqueux pour livrer bataille à la dérive langagière qui, goutte après goutte, a fait d'« alcoolisé » un synonyme d' « alcoolique ». Me lancer dans pareille aventure relèverait du combat d'arrière-bar. Certes, nombreux sont les ouvrages de référence à condamner cet amalgame. Leurs auteurs (Grevisse, Thomas, Hanse, Dupré ou encore Girodet) nous y enjoignent de ne pas faire de mélanges. « Alcoolisé » qualifie une boisson à laquelle on a ajouté de l'alcool (un grog, par exemple), clament-ils d'une même voix ; « alcoolique » signifie « qui contient naturellement de l'alcool ». C'est le cas du vin, du whisky, du gin, du porto, du calvados, j'en passe et des plus grisants.
Mais il faut bien l'avouer, les ouvrages en question commencent à sentir la poussière. Il y a d'ailleurs beau temps que les dictionnaires usuels se sont laissé enivrer par l'usage autrefois prohibé. « Qui contient de l'alcool », peut-on lire à l'entrée « alcoolisé » du Grand Larouse illustré et du Petit Robert. « Plus étonnant est de retrouver la même définition chez la sobre Académie. Nos chers Immortels auraient-ils abusé de la dive bouteille ? 
En revanche, contrairement à nos Dupond et Dupont de la langue, les locataires du quai de Conti ne cautionnent pas – encore – l'emploi d' « alcoolisé » pour évoquer une « personne sous l'emprise de l'alcool » (notez qu' « empire » eût été plus approprié). Et encore moins, le fait de qualifier d' « alcoolisé(e) » un repas, une troisième mi-temps ou une virée entre potes par trop arrosés, tournures que les médias consomment depuis longtemps jusqu'à plus soif. 
– « Grièvement blessée hier, vers 1 h 30 du matin, par plusieurs coups de couteau après un dîner alcoolisé dans un appartement, rue Guillaume-Berdeil, à Frouzins, au centre-ville, la victime, Akim Bouderouaya, a été transportée en urgence au CHU Rangueil. » (La Dépêche)
  « Il y a quelques semaines, les tabloïds anglais, se faisaient les choux gras d’une sortie très alcoolisée d’un Jason Statham très bien entourés de jeunes filles avec qui il a pris plaisir à flirter. » (Gala)
– « Il aurait poignardé à neuf reprises son père, dimanche 6 octobre, après une soirée alcoolisée. » (Ouest-France)
Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. 

jeudi 10 octobre 2024

Dernier de la classe

Lu la semaine dernière : « Saison cyclonique : regain d’activité pour Ancha, le système à nouveau classifié en tempête tropicale modérée » (linfo.re)

Pourquoi faire simple quand on peut faire… complexifié ? J'ai déjà eu l'occasion de déverser sur ce blog tout mon fiel sur l'emploi abusif de termes tels que problématique, méthodologie, technologie ou thématique là où de simples problème, méthode, technique ou thème feraient bien mieux l'affaire. La liste est longue. Parmi tous ces mots utilisés en dépit du bon sens, par ignorance ou par pédanterie, j'ajouterais volontiers le verbe « classifier ». Autrefois circonscrit aux domaines de la botanique et de la zoologie, le bougre tend à se répandre dans notre langage en lieu et place de son voisin de pallier « classer ». Ben voyons, c'est tellement plus… classieux ! 
À toutes fins utiles, le très sérieux Office québécois de la langue française rappelle pourtant que si « les verbes classer et classifier sont apparentés par la forme et le sens, […] leurs significations sont différentes. « Classer signifie "ranger dans une classe" ou "répartir dans des classes", tandis que classifier a le sens de "déterminer des critères de classement, définir des classes"». 
Le non moins sérieux Jean-Paul Colin (Dictionnaire des difficultés du français, éditions Le Robert) en remet une couche : « […] Quant au verbe classifier, qui, contrairement à ce qu'on serait tenté de croire, est beaucoup plus ancien que classer, il désigne l'action d'établir et de définir les classes elles-mêmes plutôt que celle de répartir ou classer. » 
On dira donc à bon droit : 
– Faute de les avoir classés, cette secrétaire ne retrouve plus ses papiers.
– Le pêcheur retraité voudrait classer au patrimoine son vieux chalutier en bois.
– Le naturaliste suédois Carl von Linné a classifié la flore.
Et, pour reprendre l'extrait d'article cité en introduction : 
– Saison cyclonique : regain d’activité pour Ancha, le système à nouveau classé (ou élevé, rétrogradé au stade de, selon les goûts) en tempête tropicale modérée.
En résumé, la classification crée les cases à remplir, le classement les remplit. Mais vous vous doutez bien que l'usage – sous l'influence de l'anglais to classify, paraît-il – fait souvent fi de cette subtile distinction et qu'en la matière, nos chers médias font figure de derniers de la classe.  
– Wilander : « Si Alcaraz gagne ce Wimbledon, alors on ne parlera déjà plus d’Agassi, de Connors, de Lendl ou de moi quand on cher­chera à le clas­si­fier. (We love tennis)
– Un ex-colonel américain accusé de divulguer des informations classifiées… sur un site de rencontre. (Ouest-France)
Quelque chose me dit que ce dossier-là est loin d'être classé. 

mercredi 2 octobre 2024

Mâles de mers

Lu après la Journée du patrimoine : « À la Possession, la pierre de la buse a été déplacée pour y être installée devant la médiathèque. Selon la légende, cette pierre serait un indice permettant de retrouver le trésor du pirate, caché sur l’île. » (linfo.re)

S'il en est un qui a fait couler autant d'encre après sa mort que d'hémoglobine de son vivant, c'est bien Olivier Levasseur, alias La Buse, alias La Bouche. Le gaillard (d'avant) n'avait pourtant rien du gendre idéal. Mais aujourd'hui encore, le mystère qui entoure le plus célèbre pirate de l'océan Indien et son fabuleux trésor (on parle de 4 milliards d'euros actuels) ne cesse d'attiser curiosité et convoitise. Et bien entendu, il ne se passe pas une Journée du patrimoine sans que l'on aborde son histoire, témoin la manifestation qui lui fut consacrée, cette année, à La Possession. 
Je saute sur l'occasion pour rappeler que si l'imaginaire collectif les met parfois dans le même bateau, pirates (appelés aussi flibustiers ou boucaniers dans les Caraïbes) et corsaires n'appartenaient pas à la même caste de marins. Si les premiers nommés étaient des forbans de la pire espèce, assoiffés de sang et d'argent, les seconds agissaient sur ordre de l'État et uniquement en temps de guerre. Cette différence de statut explique pourquoi nombre de corsaires accédèrent à de hautes distinctions (1) et que la plupart des pirates finirent au bout d'une corde. Pendu haut et court (haut pour que personne ne rate le spectacle, court par économie de corde) le 7 juillet 1730 à Saint-Paul, notre populaire La Buse n'échappa pas à ce funeste sort. D'aucuns diront que c'est bien la seule chose qu'il ne vola point. 
Sur ce, je mets les voiles !

(1) Devenu grand armateur et propriétaire terrien, Robert Surcouf fut décoré de la Légion d'Honneur ; René Duguay-Trouin fut nommé au conseil d’administration de la Compagnie des Indes, élevé au rang de lieutenant général des armées navales et à celui de commandeur de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis ; enfin, Jean Bart fut anobli et reçut des mains de Louis XIV la croix de chevalier de l'Ordre de Saint-Louis.

mercredi 25 septembre 2024

Retour de flamme

Lu le week-end dernier : « Si le hangar a totalement été détruit, l’intervention rapide des pompiers a permis d’enrayer la propagation à la végétation et aux autres installations de l’exploitation. » (Linfo.re)

Vous l'ai-je déjà dit ? Je voue aux pléonasmes une affection toute particulière. Qu'ils soient commis à des fins stylistiques ou par inadvertance, comme celui figurant dans l'extrait d'article ci-dessus et que, j'en mettrais ma main au feu, vous n'aurez pas manqué de débusquer. Non ?  Dans ce cas, je ne peux résister à l'envie brûlante de vendre la mèche. 
Un petit crochet par vos dictionnaires usuels vous rappellera que le verbe « détruire », du latin populaire destrugere, n'est pas synonyme d' « endommager », de « dégrader » ou de « détériorer, mais signifie « démolir, abattre, raser, ravager, faire disparaître » ou « tuer », autant d'actions radicales ayant pour finalité commune de réduire à néant l'être ou la chose qui en est la victime. Lui associer des adverbes tels que « totalement », « intégralement » ou « entièrement » est donc… complètement inutile.   

samedi 21 septembre 2024

N'est pas olympien qui veut

Lu il y une dizaine de jours : « Quelque 300 d'entre eux, olympiens et paralympiens, vont défiler sur le haut de cette avenue mythique de Paris. » (
Imaz Press Réunion)

Je l'ai déjà écrit dans un lointain post : n'est pas olympien qui veut. L'adjectif qui nous occupe aujourd'hui signifie en effet « relatif à l’Olympe », massif montagneux de Thessalie, lieu de villégiature des douze principales divinités grecques. Rien à voir donc avec son paronyme « olympique », lequel tire son origine de la ville du Péloponnèse Olympie, berceau des Jeux olympiques de l’Antiquité. Pour information, 774 kilomètres séparent les deux sites, ce qui n'est pas rien, vous en conviendrez.
Moralité : nos champions sportifs ont beau être régulièrement élevés au rang de dieux du stade, parler de « parade des olympiens » pour évoquer le défilé de nos médaillés olympiques organisé le 14 septembre dernier sur les « Champs » est historiquement et géographiquement absurde.

dimanche 15 septembre 2024

Paralympique, paraphasie, paratonnerre… Besoin d'un paracétamol ?

Thème favori de toute la presse du jour :
« La grande parade des athlètes français des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ».

Désolé d'arriver à la fumée du cierge olympique, mais je le confesse, j'ai procrastiné. Si, si. Oh ! je sais, vous allez me dire que l'exemple vient d'en haut. Justement… Ma honte n'en est que plus lourde à porter. 
Je m'étais en effet promis d'aborder un mot, qu'à moins d'être aveugle et sourd, vous n'avez pu rater si vous suivez un tant soit peu l'actualité sportive, en l'occurrence, l'adjectif 
« paralympique(s) ». Ce que je n'avais pas prévu, c'est que d'autres jailliraient des starting-blocks plus vite que moi, à commencer par mon maître ès-bonnes mœurs langagières, le linguiste Bruno Dewaele, auteur d'un récent billet intitulé Paralympique : quand l'étymologie est à géométrie variable. À retrouver, sans faute (une évidence pour un champion du monde d'orthographe), sur son blog À la fortune du mot.  C'est toujours aussi délicieux et au moins, ce n'est pas du réchauffé. 
Après avoir songé, pur orgueil de ma part, à déclarer forfait, je me suis finalement dit que mes enfants, les quelques amis et anciens collègues qui me font la bonté de me suivre et même mon ex-femme qui, une fois n'est pas coutume, fait partie de mes rares fans, avaient bien le droit de connaître le cheminement de ce terme aux origines bizarres et que, tout aussi bizarrement, l'Académie se refuse toujours à valider. 
Le commun des usagers de la langue n'y verra rien d'autre que l'association du « para– » de « paraplégique », de « paralysé » et du « –lympique » d' « olympique »… et il aura raison, ledit terme étant le fruit d'une union « mal formée », selon Aley Rey (Dictionnaire historique de la langue française), des mots anglais paraplegic et Olympics (Jeux olympiques), ce qui revient au même. 
Le site web des JO-2024 nous raconte que « l’histoire paralympique a commencé en 1948 dans un hôpital militaire, au nord de Londres ». C'est là que le neurologue anglais d'origine allemande Sir Ludwig Guttmann, à la recherche d'un moyen « d’accélérer le rétablissement de ses patients paraplégiques, tous vétérans de la Seconde Guerre mondiale », imagina de les confronter lors d'une épreuve de tir organisée en marge des Jeux olympiques. 
À l'époque, seuls les sportifs en fauteuil roulant y étaient admis. Malgré l'élargissement de la compétition à d'autres disciplines sportives mais surtout à tous les athlètes en situation de handicap, comme on dit de nos jours, l'évènement a conservé son appellation première. Les Jeux paralympiques se déroulant désormais dans les foulée des Jeux olympiques, d'aucuns ont considéré qu'il était grand temps de rapprocher l'élément « para- » de ses origines hellènes en lui restituant son sens initial, « à côté de », « auprès de », que l'on retrouve dans « parallèle, paraphrase, paragraphe, parapharmacie » ou dans cette fichue paraphasie qui me tourmente depuis mon plus jeune âge. N'y cherchez en revanche aucun lien de parenté avec le « para– », issu du latin parare (parer), présent dans « paravent, parachute, parapluie » ou « paratonnerre ».
Compliqué, n'est-il pas ? Besoin d'un paracétamol ? 

samedi 7 septembre 2024

Autopsie d'un pléonasme

Lu la semaine dernière : « L'autopsie du corps devrait permettre d'établir les raisons du décès. » (Outre-mer la 1ère)

De tous les pièges de la langue française, le pléonasme est sans nul doute l'un des plus redoutables, tant il circule dans l'usage avec un tel naturel qu'on lui donnerait le bon Dieu du bien-parler sans confession. Gai luron, dépenses somptuaires, fétu de paille, transi de froid : pléonasmes ! Mal fagoté, se faire justice soi-même, collaborer ensemble, tous les pays du monde : pléonasmes encore ! Cadeau offert, bip sonore, actuellement en cours, autorisation préalable … Pléonasmes toujours ! 
La semaine dernière, je lisais sur le site d'Outre-mer la 1ère (notez l'erreur typographique, « première » s'écrivant « 1re » en abrégé) le triste récit de la découverte du cadavre de Zaliia Shamigulova, une touriste russe de 29 ans en vacances à l'île Maurice. Il y était écrit que « l'autopsie du corps devrait permettre d'établir les raisons du décès ». L'autopsie du corps… Tiens, tiens, combien de fois n'avons-nous pas lu cette expression sans y porter un œil réprobateur ? 
Et pourtant… Un découpage au scalpel de ladite expression laisse ni plus ni moins apparaître une  vilaine verrue pléonastique. En effet, Académie et dictionnaires usuels (Larousse, Robert, Littré) s'accordent à faire de l'autopsie la dissection d’un cadavre, d'un corps et (l')examen détaillé des viscères en vue de déterminer les causes de la mort. » Dès lors, à quoi bon l'affubler « de compléments (« corps », « cadavre ») qui, par définition, lui collent déjà à la peau ?

mardi 3 septembre 2024

Situation critique

Lu la semaine dernière : « Du 29 août au 8 septembre, près de 4.400 athlètes (dont 14 Ultramarins) en situation de handicap s'affronteront dans 549 épreuves pour tenter d'être le ou la meilleur(e) de leur discipline et se hisser sur la plus haute marche du podium. » (Outre-mer la 1ère)

Vous l'avez peut-être remarqué, il est des mots qu'il ne fait pas bon prononcer. Le plus souvent, pour éviter de blesser ou de réveiller le souvenir de périodes sombres de notre histoire. L'un des plus anciens d'entre eux est le terme « Noir ». Supplanté par « nègre » à l'époque de la traite esclavagiste, il est réapparu au milieu du XIXe siècle après l'abolition de l'esclavage avant de faire place à son tour à l'expression « personne de couleur », élargie depuis à tout individu non blanc. 
Beaucoup plus tard, les grands penseurs de la langue se sont attaqués à des mots stigmatisant un handicap physique ou une profession jugée peu valorisante. Ainsi ne ne parle-t-on plus d'un nain, d'un aveugle ou d'un sourd mais d'une personne de petite taille, d'un malvoyant, d'un malentendant. Adieu aussi femmes de ménage, caissières ou encore éboueurs, devenus respectivement agent(e)s d'entretien, hôtesses de caisse et agents de propreté urbaine. Même notre populaire dame pipi a été rebaptisée. C'est désormais un(e) agent(e) d'accueil et d'entretien qui vous attend près de l'urinoir. 
Cette vague de nettoyage lexical serait des plus louables si elle ne portait parfois atteinte à l'intégrité de la langue elle-même. Prenez cet engouement récent pour le tour consistant à affubler la locution « en situation de » de noms évoquant un état peu enviable, voire honteux. De tous ces termes, le plus fréquemment employé est « handicap » qui, en cette période paralympique, l'emporte dans un fauteuil devant précarité, vulnérabilité, chômage ou surpoids. En fouinant sur la Toile, j'ai même croisé des « étudiants en situation d'autonomie », un « déplacement en situation de vigilance » et une « France en situation de blocage », preuve que l'imagination de l'usager est sans limites. 
Dieu merci, je ne suis pas le premier à pointer du doigt une telle prolifération, classée par l'Académie au rang des « extensions de sens abusives ». « Une certaine langue technocratique […] a la fâcheuse habitude d’ajouter des mots qui ne semblent pas avoir d’autre utilité que de donner une manière de vernis scientifique aux propos tenus. C’est ainsi que les locutions au chômage ou en chômage sont fréquemment remplacées par en situation de chômage. Peut-être y a-t-il une volonté de ne pas dire il est chômeur et de ne pas faire de ce nom une qualité inhérente à tel ou tel ; mais dans ce cas, ajouter en situation de est inutile puisque chômage désigne déjà un état, une situation. Notons qu’en situation de… se rencontre aussi avec une valeur euphémistique dans la locution en situation de handicap, employée de plus en plus en lieu et place de l’adjectif handicapé », écrivait-elle le 3 juin 2021. 
Le magazine Marianne a lui aussi étudié la situation. Et il en remet une couche. « En situation de précarité » : ne renonçant jamais au ridicule, la novlangue technocratique nous abreuve de cette locution souvent euphémistique qui semble avoir été inventée pour ne pas stigmatiser certains individus, mais qui donne au contraire l’impression que le fait d’être pauvre ou handicapé est si honteux qu’il ne faudrait jamais prononcer ces mots. »
Euphémisme ? Pléonasme ? Sans doute, mais pas seulement… On en oublierait presque l'essentiel. Les dictionnaires usuels nous rappellent en effet que la locution « en situation de » n'a d'autre signification que « en mesure de, à même de, bien placé pour ». Nous sommes bien loin, vous l'avouerez, du sens qui lui est prêté de nos jours. De plus, ne manquent de souligner Le Robert et l'Académie, ladite locution ne se construit pas avec un nom mais suivie d'un verbe à l'infinitif. «  Je ne suis pas en situation de m'opposer à ce projet. » (Larousse) ; « Il est en situation de gagner. » (Académie)
Autant de bonnes raisons de se débarrasser bien vite de cette mode langagière insupportable. Hélas ! j'ai bien peur que la situation soit irréversible. 

samedi 24 août 2024

Un campus envahissant

Lu il y a deux jours : « La Casud participe aux inscriptions des étudiants sur le campus universitaire du Tampon. » (Imaz Press Réunion)

« Ensemble de bâtiments universitaires construit dans un parc ou sur un vaste terrain. » La définition est claire. Elle figure dans la 9e édition du Dictionnaire de l'Académie française. Quand on sait que nos Dupond et Dupont de la langue, Larousse et Robert, disent peu ou prou la même chose, nul besoin d'avoir ciré pendant des années les bancs de la fac pour en déduire que l'expression courante « campus universitaire » n'est ni plus ni moins que pléonastique, ce que confirment, entre autres, Girodet, Colin ou le duo Péchoin/Dauphin dans leurs ouvrages respectifs. 
Seulement voilà, tout le monde ne partage pas cet avis. « Il semble que le mot campus ait connu une extension sémantique et qu’il en soit venu à désigner tout vaste terrain aux allures de parc où sont érigés des bâtiments et résidences scolaires », fait remarquer l'Office québécois de la langue française. Exemple : « L'école de commerce et de ressources humaines Lybre, créée à Roubaix, ouvre un campus à Dunkerque, en plein centre-ville, dès septembre 2024 » (Nord Littoral). 
Le glissement de sens ne s'est pas arrêté là. De nos jours, en effet, il est fréquent de voir employer le mot « campus » pour désigner de pompeuse façon des rassemblements, petits ou grands, le plus souvent estivaux, entre adhérents d'un parti politique, d'une association ou de quelque autre groupement affinitaire. 
« Le Point rapporte qu’un « campus de rentrée » destiné aux militants est en réflexion. » (Ouest-France)
« […] se déroule ce jeudi 22 août, celle du Parti communiste débutera le lendemain, et le campus d’été du parti socialiste une semaine plus tard. » (l'Humanité)
En vadrouillant sur la Toile, j'ai même découvert récemment que le Paris Saint-Germain venait lui aussi de se doter de son campus. Si, si,  un « futur centre d’entraînement et de formation multisport […] conçu pour répondre aux besoins des athlètes du club et stimuler au quotidien leurs performances » avec pour but « de devenir une référence mondiale en matière d’innovation et d’accompagnement global des sportifs », décrit-on sur le site internet du club. 
D'aucuns diront encore que sport et langue française forment une bien étrange équipe. 

jeudi 15 août 2024

C'est mon avis... et je le partage

Lu il y a quelques jours : « Elles (les candidates à l'élection de Miss Réunion 2024) vont vous partager leur univers. » (RTL Réunion)

– « Cambriolage, pédocriminalité… À quel point partager ses photos de vacances est-il risqué ? » (Ouest-France)
– « Le Bouscat : le Bouscatais Guillaume Fort partage ses souvenirs olympiques » (Sud Ouest)
– « Il voulait partager de belles photos sur Facebook : un homme dégrade des peintures vieilles de 6000 ans en Espagne » (L'Indépendant)
À quoi bon me lancer dans un inutile combat d'arrière-garde contre la mode qui consiste à faire de « partager » un synonyme de « répandre », « diffuser », « communiquer », « dévoiler », « faire part de » ou encore « rendre accessible » ? L'usage courant, dont le diktat est sans partage sur la langue, a déjà fait son œuvre. Si l'Académie, Littré et leurs disciples puristes ne partagent guère l'engouement suscité par cette acception en vogue, Le Robert et son ami Larousse lui ont ouvert leurs colonnes, le premier la qualifiant de courante… mais critiquée. 
Mais après tout, pourquoi faire tant d'histoires ? Que reproche-t-on à ce « partager 2.0 », si ce n'est d'être, nous dit-on, le fruit d'une influence néfaste de l'anglais to share. Sur son blog Parler français, Marc Raynal ne manque d'ailleurs pas de rappeler que ledit sens n'est peut-être si récent qu'on le prétend. « Eh bien figurez-vous que, contre toute attente, cela s'est dit autrefois », écrit-il. « […] À y regarder de près, tout porte à croire que cette valeur sémantique du verbe partager était déjà présente de longue date dans notre langue. »
Passons donc sur le fond. La forme, en revanche, est autrement discutable. « Partager » est un verbe transitif et par définition, il n'admet pas de complément d'objet indirect. On partage quelque chose « avec » ou « entre » plusieurs personnes mais on « fait partager » quelque chose à quelqu'un, on ne lui partage pas. C'est en tout cas mon avis. Et je le partage…

samedi 3 août 2024

L'arrache-cœur

Lu, mercredi dernier : « JO-2024-Handball : Les deux Réunionnais Melvyn Richardson et Dika Mem gagnent à l'arrachée leur premier point. » (clicanoo.re)

Qu'elle figure à la rubrique des faits divers pour qualifier le vol brutal d'un sac à main ou à celle des sports, adossée le plus souvent au mot « victoire », l'expression « à l'arraché » (« par un effort violent, intense, souvent de justesse ;  au prix de difficultés ») ne prend pas de « e » final. « Arraché », que Larousse désigne comme étant « le mouvement d'haltérophilie consistant à soulever la barre d'un seul mouvement continu au-dessus de la tête, au bout d'un ou des deux bras tendus », est en effet un terme qui fleure bon la testostérone. Sans doute par confusion avec la locution « à l'accoutumée », il n'est pourtant pas rare de le voir assorti d'une touche féminine dont il n'a nul besoin. En témoignent ces extraits d'articles que j'imagine avoir été pondus à l'arrache, un soir de bouclage particulièrement tendu. 
– « Législatives 2024. Match nul ou victoire à l'arrachée : les insolites du 2nd tour dans la Loire. » (Le Progrès)
– « La Turquie en tête du groupe F, victoire à l’arrachée pour le Portugal. » (La Marseillaise)
– « Lutte contre le vol à l’arrachée et les apps malveillantes. » (Le Monde informatique)
Avant de m' « arracher », oh pardon!, de vous quitter, je voudrais adresser un petit salut et souhaiter bon courage à mes anciens confrères du Journal de l'île de La Réunion. Mercredi, le tribunal de commerce de Saint-Denis a mis fin aux activités du plus ancien quotidien de l'île et à celles de toutes ses filiales, dont le site d'information clicanoo.re, qui m'a, à sa plume défendante, si souvent donné du grain à moudre. Cette barre-là (9 millions de dettes, à ce qu'il paraît) était trop lourde à relever. 
Une page de l'histoire de La Réunion vient donc de se tourner. J'ai évidement une grosse pensée pour ces 75 personnes qui ont lutté d'arrache-pied pour éviter l'issue fatale. Soixante-quinze passionnés pour qui, voir se refermer une dernière fois la porte de leur journal aura été, pour reprendre la formule chère à Boris Vian, un insupportable arrache-cœur.

mercredi 31 juillet 2024

Au-dessus de tout soupçon ?

Lu dernièrement : « Elle suspecte également que cette drogue provient de La Réunion toujours selon nos confrères. » (linfo.re)

Au premier regard, le doute m'a envahi. Et pour être honnête, il ne m'a toujours pas quitté. Certes, je ne l'ignore pas, « suspecter » est un verbe transitif et à ce titre, la phrase citée en introduction semble au-dessus de tout soupçon. Elle en l'occurrence la police – suspecte quoi ? « Que cette drogue provient (sic) de La Réunion. » Suspecter que, après tout, pourquoi pas ? 
Mais comme le bon saint Thomas, j'ai besoin de voir pour croire. Et j'ai eu beau chercher, aucun ouvrage de référence de ma connaissance ne fait mention d'une association possible entre le verbe « suspecter » et un complément d'objet direct introduit par « que ». Qui ne dit mot consent ? En revanche, tous rappellent, exemples à l'appui, que l'on suspecte quelqu'un ou quelque chose et que lorsqu'il n'est pas employé absolument, le COD est le plus souvent accompagné d'un second complément en « de ». 
– « Elle suspecte son mari d’infidélité, d’être infidèle. » (Académie) 
– « Sa doctrine a longtemps été suspectée d’hétérodoxie. » (Académie, encore !)
– « Suspecter une fraude » (Académie, toujours !)
Ou, enfin : « Le médecin qui l’a examiné suspecte un cancer. » 
Pas gai, tout ça…
Larousse use du même registre :
– « La police le suspecte d'avoir commis le vol. »
– « Suspecter la loyauté de quelqu'un » (au sens de mettre en doute).
Robert lui emboîte le pas : 
– « Il est suspecté de sympathies anarchistes, d'être proche du pouvoir. »
Et pour terminer, un petit crochet par Littré : 
– « On l'avait suspecté d'hérésie. Suspecter la fidélité d'un domestique. »
Mais comme je vous le disais, pas la moindre allusion à la tournure qui nous occupe. Ce ne serait pas la première fois que les grands pontes de la langue se tapiraient dans le silence pour cacher leur embarras.  

dimanche 28 juillet 2024

Le dépit du bon sens

Lu il y a quelques jours : « Mais également plus sous-équipé, au grand dam des professionnels de ce « beau territoire… » (clicanoo.re)

On ne sait trop pourquoi, l'expression « au grand dam » (prononcez « au grand dan », selon Girodet et Thomas) est devenue au fil des décennies synonyme de « au grand désespoir de », « au grand regret de » ou « au grand mécontentement de ». Selon leur – mauvaise – habitude, nos Dupond et Dupont de la langue, les sieurs Larousse et Robert, ne se sont pas fait prier pour valider lesdites acceptions, au… grand dam, bien sûr, de nombreux puristes. 
Ben, dame ! Comment ne pas s'étonner d'une telle dérive sémantique ? À l'origine de l'Anglais damage et du Français « dommage », le mot « dam » signifie en effet « préjudice », comme avant lui son ancêtre latin damnum ? Ainsi parlait-on jadis de la peine du dam, châtiment consistant à priver les damnés de la vision de Dieu. C'est donc tout naturellement que la locution figée « au grand dam » apparut au sens de « au préjudice de », « au détriment de ». Bien que ces emplois soient toujours les seuls reconnus par l'Académie et Littré, ils sont aujourd'hui quasiment sortis de l'usage. Et c'est bien dommage… 

vendredi 19 juillet 2024

Récidive... à répétition

Lu il y a deux jours : « Des départs de feu à répétitions dans les champs de cannes ont été signalés dans le sud. » (linfo.re)

Allez, soyons honnêtes, lequel d'entre nous n'a jamais succombé à la tentation d'affubler d'un « s » final le substantif « répétition » dans l'expression « à répétition » ? L'erreur est d'ailleurs fréquente dans la littérature, et inutile de dire qu'elle l'est tout autant dans la presse écrite, et ce, malgré les mises en garde répétées de nos dictionnaires usuels (Le Robert, Larousse, Littré) :
– « Nestlé : entre mensonges sur l'eau et cessions à répétitions, où va le groupe ? » (Capital)
– « Des messages à répétitions demandent aux utilisateurs de réinitialiser leur identifiant Apple. » (Le Monde informatique)
– « Accidents à répétitions, violences : faut-il en finir avec les fêtes foraines ? » (RMC)
Quand on y regarde de plus près, l'emploi du singulier relève pourtant d'une implacable logique. Si dans des expressions telles que « par moments » ou « par intervalles », « moments » et « intervalles » désignent les points d'étapes d'un phénomène répétitif, d'où la présence du pluriel, dans « à répétition », « répétition » exprime le phénomène lui-même, autrement dit, le fait de réitérer une action. Le singulier est donc de mise. Le même raisonnement vaut pour l'expression « par intermittence ». 
Une règle de français qui semble avoir échappé à mes anciens confrères de linfo.re., auteurs de la même erreur à sept reprises en l'espace de neuf mois. Sur la route, une telle succession d'infractions aurait déjà coûté un retrait de permis à son auteur. Mais sur la Toile, c'est bien connu, l'entorse au bon usage n'a jamais constitué un délit passible de sanctions. Y compris en cas de multirécidive.   

mercredi 17 juillet 2024

Démo(t)bilisés

Lu dimanche : « Au total, ce sont 705 personnes, soit 577 troupes à pied et 128 en véhicule, qui défilent depuis 11 h au Barachois. » (clicanoo.re)

Je m'étais presque habitué – résigné serait plus exact – à lire des phrases du type :
– « Un millier de personnels mobilisés dans l’Aisne pour accompagner la flamme olympique le 17 juillet. »
– « Plus de 550 effectifs ont été engagés, afin de faire respecter les arrêtés préfectoraux d’interdiction de port et transport d’armes et d’organisation de combats de rue. »
– « 2 700 forces de l'ordre vont être déployées sur les zones les plus sensibles du territoire néo-calédonien. »
Et voilà que dimanche, je découvre à la lecture d'un article publié sur le site clicanoo.re, avatar numérique du Journal de l'île, que « 577 troupes à pied et 128 en véhicule » s'apprêtent à parader sur le Barachois à l'occasion des célébrations du 14-juillet. À toutes fins utiles, rappelons qu'à l'instar de « personnel », d' « effectif » et de « forces de l'ordre », le mot « troupe » désigne un ensemble de personnes et non les éléments de cet ensemble pris individuellement. Cela étant dit, j'espère que le sacrosaint défilé dionysien aura fait le bonheur des nombreux publics attroupés sur le front de mer de Saint-Denis. 

lundi 15 juillet 2024

No soucy

Lu jeudi dernier : « "Que ce soit ici ou ailleurs. je saurai gérer pas de soucis", ajoute Michael Rodier, conducteur de bus. » (linfo.re)

« Il n'y a pas de souci(s) », « pas de souci(s) »… Eh bien si, justement, il y en a un. Comme souvent, en effet, l'usage ne semble guère se soucier des injonctions puritaines de l'Académie française. « On entend trop souvent dire il n’y a pas de souci, ou, simplement, pas de souci, pour marquer l’adhésion, le consentement à ce qui est proposé ou demandé, ou encore pour rassurer, apaiser quelqu’un, souci étant pris à tort pour difficulté, objection », s'inquiétaient les grands sages du quai Conti, dès octobre 2011. 
Treize ans se sont écoulés et la prolifération des expressions visées s'est accélérée. Au point qu'aujourd'hui, on se préoccupe moins de leur bien-fondé que de la présence ou non d'un « s » final à « souci(s) ». « "Pas de souci" ou "pas de soucis" ? », s'interroge le Projet Voltaire. « Pas de "soucis" ou "souci" : que faut-il écrire ? », reprend en écho le quotidien 20 Minutes quand Le Figaro écrit : « "Pas de souci(s)" : que faut-il écrire ? ». En cette période post-électorale, disons tout de suite que le singulier l'emporte largement dans les suffrages, tout comme il s'était imposé dans « pas de problème », autre tic de langage naguère décrié. L'humain ne serait donc tracassé que par un souci à la fois. À voir…
Pour ce qui est de la question sémantique, je serais enclin à rejoindre les détracteurs de l'expression « pas de souci(s) » au sens de « pas de problème(s) », « souci » n'ayant jamais été un substitut de « problème », que je sache. En revanche, il est bel et bien synonyme de « préoccupation », d' « inquiétude », et sous ces acceptions, l'emploi de « pas de souci(s) » me paraît des plus... acceptables.
No soucy ?

samedi 13 juillet 2024

Toutes ensemble, toutes ensemble !

Lu hier : « Lorsque les neuf éoliennes fonctionneront toutes ensembles, elles produiront cinq fois plus d’énergie que le précédent parc qui en comptait... 37. » (clicanoo.re)


Je passe en coup de vent pour rappeler : 
– qu'au sens de « les un(e)s avec les autres », « ensemble » est un adverbe ;
– qu'un adverbe est invariable.
Et donc :
– que dans le cas qui nous occupe, « ensemble » est invariable. 
Syllogique, non ?

mercredi 10 juillet 2024

Aujourd'hui est un autre jour

Familière, populaire, employée par plaisanterie ou par pédanterie, « pléonasme caractérisé » pour les uns, « affreuse tautologie » pour les autres, l'expression « au jour d'aujourd'hui » s'installe chaque jour un peu plus dans l'usage courant au sens d' « actuellement », de « présentement ». Mais n'allez pas croire qu'il s'agisse là d'une dérive langagière de plus de notre permissive époque. S'il a connu un développement spectaculaire à partir du début du XXe siècle, le tour critiqué aurait été observé dès le XVe siècle. On le retrouvera plus tard dans la littérature sous la plume d'auteurs célèbres tels que Lamartine, George Sand et plus près de nous, Maurice Genevoix ou Bernard Clavel. 
Et pourtant… L'attelage est d'autant plus risible qu'il ne contient pas un, mais deux pléonasmes. Formé au 
XIIIe siècle, « aujourd'hui » renferme en effet le terme de l'ancien français « hui » (« le jour où l'on est »). « Au jour d'aujourd'hui » signifie donc littéralement « au jour au jour du jour où l'on est ». 
Malgré son indéniable caractère pléonastique, « aujourd'hui » fait depuis longtemps partie de notre vocabulaire et il en est hélas ! de même pour « au jour d'aujourd'hui », « fort peu recommandable » selon Littré, mais « pas incorrecte » à condition « de ne pas en abuser », tempère l'Académie, manifestant dans cette affaire une inhabituelle propension à se mettre au goût du jour.
Les Immortels du quai Conti ne sont pas les seuls à manifester quelque indulgence. Bon nombre de linguistes considèrent que, contrairement à un simple « aujourd'hui », moins précis et souvent compris au sens large de « de nos jours », « au jour d'aujourd'hui » insiste sur l'instant présent et équivaut davantage à « actuellement », « maintenant », « en ce moment ». Et pour tout vous dire, l'argument me semble des plus recevables. 
Nettement moins tolérable est cette manie actuelle qui consiste à user – sans doute par confusion avec la locution « à l'heure actuelle » – du curieux tour « à l'heure d'aujourd'hui », dont le rayonnement ne cesse de s'étendre, y compris dans la sphère politique. Ainsi, dimanche soir, interrogé sur l'avenir d'une France coupée en trois, un député de gauche fraîchement réélu répondit qu' « à l'heure d'aujourd'hui, il (était) encore trop tôt pour le savoir ». Demain sera un autre jour…

Le jour et la nuit

Vacant à d'autres occupations, je n'ai pas eu le temps de réagir à chaud à un événement qui a beaucoup fait jaser, comme disent nos ...